Fév 29, 2016 INTERVIEW, Non classé 0
Ancien président du Burundi (6 avril 1994-25 juillet 1996), Sylvestre Ntibantuganya est aujourd’hui l’une des figures de proue du Conseil national pour le respect de l’Accord d’Arusha, une coalition d’opposition au président Pierre Nkurunziza, l’actuel chef de l’Etat. Présent à Entebbe, en Ouganda, début janvier, pour une tentative de reprise de dialogue avec Bujumbura, Sylvestre Ntibantuganya fait avec notre reporter un tour d’horizon de la crise qui persiste dans son pays : « Chaque jour, des gens continuent de mourir… », déplore-t-il. Cependant, s’il n’écarte pas le risque de génocide toujours possible, il se montre néanmoins serein : la région a tout intérêt à éviter que la situation ne s’enlise.
Notre Afrik : C’est quoi le Conseil national pour le respect de l’Accord d’Arusha ?
Sylvestre Ntibantuganya : Nous utilisons le terme de plateforme politique. Au départ, elle réunissait des partis politiques qui s’étaient organisés dans un premier temps dans le Mouvement Arusha. Mais d’un autre côté, il y avait les organisations de la société civile avec le mouvement Halte au troisième mandat. Et cela a évolué progressivement vers la création du Cnared (Conseil national pour le respect de l’Accord d’Arusha, Ndlr) avec pour mission des négociations en profondeur entre ce Conseil, qui incarne l’opposition au troisième mandat, et le camp de Pierre Nkurunziza.
Justement, que répondez-vous aux critiques qui évoquent une plateforme qui n’a d’autre ciment que l’opposition au troisième mandat ?
Il y a beaucoup de choses qui nous unissent. Et tout d’abord, ce n’est pas le troisième mandat mais bien la défense de l’Accord d’Arusha qui constitue notre plateforme. C’est un rempart pour tous.
Ce troisième mandat est en train de détruire nos corps de défense qui ont permis la paix pendant quinze ans, qui ont redoré le blason du Burundi sur le plan diplomatique. Mais aujourd’hui, mêmes nos troupes en Somalie sont tiraillées. Si elles sont détruites, c’est la porte ouverte au génocide. Nous ferons tout pour que cela n’arrive pas. Ce serait, pour moi, un échec terrible.
Quelle est la première chose que vous négociez ?
L’arrêt de la violence. D’abord, il est indispensable d’arrêter cette spirale de violence qui a déjà fait autour de 500 morts et 250 000 réfugiés dans les pays voisins. Ensuite, nous ne reconnaissons pas les élections organisées en 2015.
Mais comment faites-vous ? Tout est dans les mains de l’État burundais !
Il y a des préalables à toute négociation. Dans le cas présent, il faut demander de mettre à l’ombre ceux qui nuisent ; demander à Pierre Nkurunziza s’il a la capacité de mettre à l’écart certains responsables des forces de l’ordre. Nous demandons aussi le désarmement des imbonerakure (jeunesse du parti au pouvoir, Ndlr), et de tous les groupes armés !
Oui, mais le pouvoir en place dit qu’il s’occupe déjà du désarmement…
Ce n’est pas le discours qui m’importe, ce sont les actes. Chaque jour, des gens continuent de mourir… Cet arrêt des violences doit être matérialisé par l’Union africaine, par la Maprobu (Mission africaine de prévention et de protection au Burundi, Ndlr). Je pense que si la région est cohérente par rapport à la situation du Burundi, nous pourrons avoir les capacités d’éviter que le pays replonge encore une fois dans une guerre. Mais s’il y a une partie quelconque qui ne joue pas correctement le jeu, il sera malheureusement inévitable que certains prennent les armes.
Entretenez-vous des relations avec les pays de la région ?
Nous tentons d’organiser des relations avec tous les partenaires au niveau du Conseil de sécurité, des acteurs de la région, de l’Union africaine. Je pense que des pays comme la Chine et la Russie ne peuvent constituer des obstacles sur la voie de la négociation. Ce qui complique les choses, ce sont d’autres intérêts, des extras.
Nous devons continuer à nous inscrire dans l’East African Community, car une crise au Burundi a des conséquences chez les voisins. Si nous nous comportons de manière responsable, rien n’empêchera nos voisins d’aider à une résolution du conflit.
Mais comment et avec qui allez-vous négocier ?
Nous allons négocier, c’est tout ! Et je suis d’accord avec Museveni (Yoweri Musveni, le président ougandais, Ndlr) lorsqu’il dit : « Pas de préalable ! Je ne veux pas de préconçus. On est en train de négocier la paix. Après, on verra les résolutions, les conclusions auxquelles on aboutira. »
Donc avec Pierre Nkurunziza ?
Mais il est là !
Oui, mais certains au sein du Cnared n’en veulent pas !
Nous nous inscrivons dans ce que dit la médiation : pas de préalable.
Vous avez mentionné la Chine. Mais Pékin construit le nouveau palais présidentiel, a conclu des accords miniers (concernant le nickel) avec Bujumbura…
On négocie avec les peuples. Il faut donner des garanties. Si la Chine est parvenue à être la deuxième puissance mondiale, c’est parce qu’elle a réussi à négocier avec ses rivaux d’hier. Nous sommes dans un monde de négociations. L’exemple Etats-Unis-Iran le montre bien.
Quid de l’Afrique du Sud ? Elle était officiellement représentée lors de la prestation de serment de Pierre Nkurunziza.
C’est aussi une question d’intérêts. C’est un pays qui a une histoire avec le Burundi grâce à Mandela. Il est venu plusieurs fois à Bujumbura, a été présent plusieurs mois pour les négociations de l’Accord d’Arusha. Et souvenons-nous : Mandela avait dit à Pierre Buyoya (ex-président burundais entre 1987 et 1993, puis de 1996 à 2003, Ndlr) : « Pendant combien de temps pensez-vous que la communauté internationale va cautionner qu’une minorité de 15% contrôle l’entièreté du pays ? »
Je ne pense donc pas que l’Afrique du Sud s’opposerait d’une quelconque façon à ce qui résulterait de négociations. Qu’est-ce qu’un pays gagnerait à un pourrissement de la situation lorsque l’on sait ce que l’on a vécu en 1993-1994 ?
Sur le plan régional, qu’attendez-vous de la Tanzanie dans cette crise ?
Je pense que la Tanzanie a un rôle très important à jouer. Elle est un ami traditionnel du Burundi. Elle a toujours été aux côtés de Bujumbura aux moments les plus difficiles et les plus décisifs de notre histoire. (…)
Il se murmure que le président tanzanien, Jakaya Kikwete, a apporté son soutien à Pierre Nkurunziza alors qu’il faisait face à une tentative de coup d’État le 13 mai 2015. N’êtes-vous pas déçu ?
Il y a des interrogations. Et lorsqu’il y a des interrogations, on y répond. Pour cela, il faut que les gens se rencontrent, se parlent. Et si au niveau du Cnared, nous rencontrons les autorités tanzaniennes, je suis sûr que l’on se comprendra. Il y a beaucoup plus de faits qui nous rapprochent que de faits qui nous séparent. J’ai confiance, nous allons trouver des solutions. Aujourd’hui, la Tanzanie dit que la Maprobu est nécessaire mais qu’il faut un environnement pour en discuter.
Plus largement, quel appel lancez-vous à vos voisins ?
Je veux rappeler à la région ses responsabilités. La région ne permettra pas qu’une partie quelconque crée les conditions d’une violence pouvant se révéler incontrôlable dans les jours à venir. Sinon, elle n’aurait pas tiré les leçons du drame de 1994. Le génocide des Tutsi s’est déroulé sous nos yeux. J’étais président de l’Assemblée nationale à l’époque et j’avais averti. Je me souviens d’une mission des Nations unies qui enquêtait sur la mort du président Ndadaye et je leur avais dit : « Non seulement il y a une crise ici, mais il y a une crise aussi au Rwanda. S’il vous plaît, agissez vite, tous les ingrédients sont là. » Aujourd’hui, nous répétons la même chose. Alors, j’interpelle les différents pouvoirs de la région. Si la situation venait à dégénérer demain au Burundi, y a-t-il une capitale qui accepterait que c’est parce qu’un tel n’aura pas agi comme il le faudrait ? J’espère que non.
Mais vous demandez à des présidents qui sont en contentieux avec le troisième mandat de résoudre un problème de troisième mandat…
Non. Il s’agit de regarder ce qu’il y a derrière le troisième mandat. Pourquoi Nkurunziza et son petit cercle veulent à tout prix ce mandat ? Et c’est aujourd’hui qu’on le comprend. Il y a une volonté de remettre en cause un accord de paix et c’est une grande différence avec nos voisins congolais, rwandais, ougandais.
Vous savez, la politique est un art très difficile ; il y a ceux qui ont le doigté et d’autres qui le font maladroitement. Certains parviennent à leur troisième mandat, en l’imposant par des voies qui sont ensuite difficilement critiquables. Vous changez votre Constitution selon les normes, vous ne voyez pas d’espace contestataire qui se lève pour dire non.
L’Union européenne, les États-Unis ont pris de premières sanctions vis-à-vis du régime burundais. D’autres pourraient suivre. Buyoya avait résisté pendant trois ans à l’embargo international contre le Burundi entre 1996 et 1999. Pensez-vous que Nkurunziza puisse faire de même aujourd’hui ?
Il y a de grandes différences avec la situation d’alors. Le taux de corruption est bien plus élevé aujourd’hui. Le Burundi est le pays le plus corrompu de la région. Qui plus est, le pouvoir fait désormais face à une opposition politique bien plus cohérente qu’alors.
Comment analysez-vous le comportement du CNDD-FDD et de Pierre Nkurunziza ?
Je ne comprends pas que des leaders du CNDD-FDD (Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces de défense de la démocratie, parti au pouvoir, Ndlr) ressassent chaque jour dans leurs interventions les événements de 1965, 1972, 1988 comme s’ils avaient été les seuls à les vivre.
Mais il y a une interrogation : pourquoi en parlent-ils aujourd’hui, alors qu’ils ont été au pouvoir pendant dix ans et que dans l’histoire du pays, c’est le premier parti qui a bénéficié d’autant d’acquis pour pouvoir asseoir une politique de réconciliation ? Pourquoi ne l’ont-ils pas fait ? C’est de la manipulation.
Vous étiez associé à ce pouvoir avec votre parti, le Frodebu, entre 2005 et 2010. Globalement, c’est l’ensemble de la classe politique burundaise qui est responsable d’un manque de vigilance, non ?
Il faut nuancer. Lors de la transition de 2001 à 2005, des jalons avaient été posés. Déjà en 2002, un texte avait été amené au Parlement portant sur la création de la Commission Vérité et Réconciliation. Cette loi a été votée et des étapes ont été franchies. Mais lorsque Pierre Nkurunziza est arrivé au pouvoir, il a renégocié les termes dans lesquels l’Accord d’Arusha a défini la justice transitionnelle (…). Il a dit qu’il n’était pas nécessaire d’enquêter sur le génocide, de mettre en place un Tribunal pénal international.
A qui s’adressent alors aujourd’hui les leaders du CNDD-FDD ?
A une certaine opinion burundaise pour lui faire croire que le CNDD-FDD est en train de mener un combat nationaliste.
Ils s’adressent donc aux villageois, aux paysans…
Bien sûr !
Comment s’adresse-t-on aux gens de l’intérieur du pays, lorsque les principaux canaux d’information ont été détruits ?
Par des contacts directs. Et cela, seul le CNDD-FDD peut le faire parce que les autres partis ne peuvent pas tenir des meetings politiques. Le parti au pouvoir continue d’utiliser la RTNB (Radio-Télévision nationale du Burundi) pour tenir le discours officiel.
Finalement, l’un des acquis de cette crise, c’est que tous les Tutsi qui critiquaient vivement l’Accord d’Arusha le défendent désormais farouchement.
Tout à fait d’accord. Et c’est cela qui fait que c’est un péché mortel pour un responsable politique burundais de s’attaquer à cet accord. On ne s’attaque pas à un accord qui a permis de faire la paix, qui a réduit sensiblement les réflexes ethniques de la vie politique et sociale, qui nous a aidés à bâtir des corps de défense et de sécurité dans lesquels tous les Burundais avaient confiance. L’Accord d’Arusha a encore sa place et sa mission à effectuer au Burundi !
Nombre d’opposants politiques et membres de la société civile, mais aussi l’ONU, ont averti quant à un risque de génocide similaire à ce qu’a connu le Rwanda en 1994. A raison ?
Il ne suffit pas d’affirmer qu’il ne va pas y avoir de génocide. Il faut plutôt mener des actions pour démontrer que l’on fait tout, chacun en ce qui le concerne, pour éviter qu’on verse demain dans le génocide.
Néanmoins, on peut comparer notre situation à celle du Rwanda entre 1990 et 1994. On a vu au Rwanda des situations d’assassinats d’État ou d’assassinats non expliqués comparables à ce que nous observons aujourd’hui au Burundi. Et la situation a été compliquée à l’époque au Rwanda par l’existence d’une milice à la solde du parti au pouvoir, laquelle milice était visiblement incontrôlée.
Au Burundi, tout le monde dit aujourd’hui qu’il y a une milice du pouvoir. De quelle ampleur ? C’est aux enquêtes de le dire. Mais je ne pense pas que quelqu’un puisse nier que les imbonerakure, ou au moins une partie d’entre eux, sont constitués en milice.
On a également un parti au pouvoir qui connaît des problèmes de tiraillements internes…
En même temps, vous trouvez que ce parti est en délicatesse ou en opposition avec les autres forces politiques, y compris celles de la même mouvance démocratique, pour ne pas dire « hutu » comme on disait dans le temps. Cela est encore une fois comparable avec ce qui se passait au Rwanda, avec un MRND (Mouvement révolutionnaire national pour le développement, parti d’Habyarimana au pouvoir à l’époque, Ndlr) qui était en conflit avec les jeunes partis qui venaient de naître.
Quelle analyse faites-vous de la position de la région, hier avec le Rwanda et avec le Burundi aujourd’hui ?
Je pense qu’en 1990-1994, la région n’était pas unanime sur ce qui se passait au Rwanda. Et aujourd’hui, vous sentez qu’il y a des tiraillements également sur ce qui se passe au Burundi.
Et concernant les discours tenus ?
Il faut faire la distinction entre le discours officiellement assumé et peut-être le discours distillé sous le manteau, en fonction de la personne à qui vous voulez vous adresser. Personnellement, ma crainte c’est que pour le pouvoir de Bujumbura dise, pour se garder une influence et du soutien du côté des populations : « Les Tutsi veulent revenir au pouvoir. Avec le soutien des Rwandais. » Et vous sentez qu’il y a un discours très, très dur du pouvoir de Bujumbura à l’endroit des autorités du Rwanda. Ou encore : « Ces Hutu qui sont entrés dans l’opposition contre le pouvoir de Nkurunziza, ce sont des vendus ! » Ce même discours on l’entendait du côté du Rwanda en 1990.
Pour nous Burundais, que l’on soit par ailleurs du pouvoir ou de l’opposition, cela signifie que si, au niveau de la région et de la communauté internationale, on ne fait pas vite et suffisamment assez pour que la crise soit résolue très rapidement au travers de négociations, il suffirait d’une étincelle demain pour mettre le feu aux poudres.
Toutefois, dans le cas burundais, il n’y a pas de guerre avec un mouvement comme l’était le Front patriotique rwandais…
Je suis d’accord avec vous et je constate là l’un des bienfaits de l’Accord d’Arusha. Et c’est pourquoi, au Cnared, nous appelons tous les acteurs politiques à prendre cet accord et à le défendre comme le meilleur socle de la paix, de la concorde ethnique que nous avons aujourd’hui. Les principes que nous avons négociés à Arusha au niveau de la vie politique, des institutions, des corps de défense de sécurité sont des principes qui ont amené les Burundais, dans leur diversité ethnique, à savoir travailler ensemble et à avoir des ambitions communes. Aujourd’hui, il est très difficile de mobiliser de manière massive sur des bases ethniques. Et l’une des principales manifestations de cet état de fait, c’est le Cnared lui-même.
Propos recueillis par Damien Roulette
© Notre Afrik N°63, Février 2016
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