C’est à un voyage instructif à travers les actions phares qu’il a conduites à la tête du gouvernement de son pays que nous convie le Premier ministre Matata Ponyo Mapon. Toujours en place quatre ans après avoir été nommé par le président Joseph Kabila – une exception dans ce pays-continent – ce technocrate pur jus réaffirme sa fierté pour les résultats obtenus, en mettant toutefois l’accent sur le long travail qui reste à accomplir.
Notre Afrik : Le 18 avril 2012, vous êtes nommé, contre toute attente, Premier ministre, chef du gouvernement. Vous êtes reconduit dans vos fonctions en 2014. Quatre ans après, comment vous sentez-vous ?
Matata Ponyo : Sentiment de gratitude et de reconnaissance pour la marque de confiance que le président de la République, chef de l’Etat, continue à placer en ma personne. L’expression de cette confiance remonte à 2003 quand il m’a nommé à la tête du Bureau central de coordination (BCeCO).
Vous êtes l’un des rares Premiers ministres à rester aussi longtemps en poste depuis l’arrivée du président Joseph Kabila à la tête de la RD Congo. Comment expliquez-vous cette longévité ?
Je suis parmi les Premiers ministres, depuis 1960, à avoir passé quatre années d’affilée à la Primature. Je crois que seul le chef de l’Etat a la réponse à cette question. Seulement, je reste persuadé que tout est adossé sur la relation de confiance, de loyauté et d’efficacité que j’entretiens avec le président de la République.
Le fait d’être un technocrate pur jus, loin du « marigot » politique, vous a-t-il aidé ?
Je suis diplômé d’études approfondies de la Faculté des sciences économiques de l’Université de Kinshasa. Dans cette Faculté est dispensé, pendant les deux premières années de graduat, le cours d’économie politique (en grec, economos signifie gestion ; et polis la cité). Le technocrate est le gestionnaire de la cité en vue de la réalisation du bien-être du plus grand nombre. A ce titre, à l’instar des hommes d’État, il contribue à la création des richesses contrairement aux « politiciens » qui poursuivent le pouvoir en lui-même.
Comment avez-vous tenu face à ceux qui ont toujours cherché à vous faire tomber ?
Je ne cesserai jamais de le dire, je l’avais déjà mentionné lors de la remise de mon diplôme Honoris causa (il a été fait docteur Honoris Causa de l’Université Protestante du Congo en novembre 2015, Ndlr) : le chef de l’Etat est pour moi le bouclier sur lequel viennent s’échouer toutes les flèches anti-réformatrices. Vous savez, ceux qui cherchent à me faire tomber sont, pour la plupart, ceux qui ne veulent pas des réformes en raison de leurs intérêts partisans.
Comme vous le savez, il a été prouvé que les réformes remettent en cause les intérêts des groupes qui ont longtemps bénéficié des rentes de situation. Les résistances au changement naissent de la prise de conscience de la remise en cause des positions acquises. Par conséquent, la réussite d’une réforme repose sur un « champion ». Et pour nous, le champion n’est autre que le président de la République.
« Ce pays m’a tout donné. Je dois le lui rendre en retour », avez-vous déclaré en mai 2012 lors de votre investiture à l’Assemblée nationale. Quatre ans après, qu’estimez-vous avoir donné à la RDC ?
Depuis 1960, la RDC compte 23 Premiers ministres sur une population de plus de 70 millions d’habitants (en ajoutant tous ceux qui nous ont quittés). Je fais partie de ce cercle restreint. Et quand tu es conscient de cette grâce, tu ne peux que t’employer à aider, à te demander, en paraphrasant John Fitzgerald Kennedy, ce que tu peux faire de ce pays merveilleux doté d’immenses potentialités matérielles et humaines.
Je ne voudrais pas faire une autoévaluation, moins encore me jeter des fleurs. Je crois que beaucoup reste à faire. Seulement, dans la limite de mes prérogatives et au regard du temps matériel qui nous a été imparti, sous l’impulsion du chef de l’Etat, nous avons mis en œuvre toute notre intelligence et toute notre énergie pour engager un certain nombre de politiques et de réformes courageuses. Ces dernières ont permis d’atteindre un certain nombre d’objectifs qu’il faut maintenir sur la durée.
Lesquels par exemple ?
Il en est ainsi par exemple de la stabilisation du cadre macroéconomique qui est un patrimoine commun à sauvegarder au même titre que la souveraineté nationale et l’intégrité territoriale. La bancarisation des salaires des agents et fonctionnaires de l’Etat constitue également pour moi un motif de fierté. Par-delà le faible niveau des salaires, qui devra connaître une amélioration, assurer la régularité et l’intégralité des rémunérations pour cette catégorie de compatriotes constitue une avancée majeure à préserver. Par ailleurs, et même si des améliorations sont envisagées au niveau des mécanismes de collecte et de remboursement, la TVA est à préserver. De même que le guichet unique de création des entreprises ainsi que de celui du commerce extérieur.
Les réformes ont touché plusieurs autres secteurs…
En effet ! Les réformes de l’administration publique et des entreprises publiques, bras séculiers de l’État, doivent se poursuivre. La libéralisation du secteur des assurances et de celui de l’électricité, le code des hydrocarbures, le code minier doivent être mis en œuvre dans l’intérêt bien compris de toutes les parties concernées.
Bref, le programme de transformation structurelle de notre économie, au plan de sa diversification, de sa compétitivité, de la productivité des secteurs agricole et manufacturier, de la valorisation du capital humain, doit s’accélérer dans le cadre de l’émergence et du développement de notre économie.
La RDC connaît une réelle consolidation de sa situation macroéconomique. Quelles sont les principales réformes structurelles, et autres, engagées pour parvenir à ce résultat et maintenir le cap ?
Par-delà les réformes structurelles, ainsi que je viens de le mentionner tout à l’heure, il y a lieu de mettre d’abord en exergue les politiques conjoncturelles qui ont été suivies. Elles ont été à la base de la stabilisation du cadre macro-économique. Dans ce domaine, l’amélioration de la gestion budgétaire a été notre principal cheval de bataille. Notre défi était de mettre un terme à certaines pratiques érigées en règle qui étaient à la base des déficits structurels du budget de l’État, de la faible qualité des dépenses et de la sous-mobilisation chronique des recettes. Comme vous le savez, plusieurs diagnostics, assortis de vérifications empiriques, suggèrent que le financement d’un déficit à partir des avances directes de la Banque centrale constitue le facteur explicatif majeur des profonds déséquilibres économiques que connaissent plusieurs pays.
A partir de 2010, nous avons réussi à mettre fin à la dominance budgétaire. Le solde budgétaire de l’Etat est redevenu positif à partir de cette année-là. Notre objectif était de parvenir à dégager ce que nous appelons des marges de trésorerie budgétaires. Ces marges sont des ressources accumulées au cours d’une période antérieure afin de couvrir certaines dépenses contraignantes qui tombent très souvent au début ou en cours du mois suivant. Or, le rythme de mobilisation des recettes en RDC est tel qu’elles rentrent majoritairement vers la fin du mois. Les marges constituées permettent de couvrir la paie des salaires réalisée à la première quinzaine de chaque mois et de s’abstenir de recourir au financement monétaire de l’institut d’émission.
Cette mobilisation des recettes vous permet aussi de financer d’autres projets sectoriels…
Effectivement, la mobilisation des recettes dans le cadre de la politique fiscale nous a permis de financer certaines politiques sectorielles. C’est le cas du transport en commun avec la création de Transco et le lancement du projet « Esprit de vie », du transport aérien avec la relance de la compagnie nationale Congo Airways, de l’aérogare modulaire de Kinshasa, du transport fluvial avec la réhabilitation de l’ITB Kokolo, l’ITB Gungu.
Dans le domaine des infrastructures, plusieurs routes (voirie et routes nationales) sont en cours de réhabilitation, l’immeuble du gouvernement a été construit, des écoles et des centres de santé ont été soit réhabilités, soit construits. Dans le secteur agricole, le programme d’implantation des Parcs agro-industriels a commencé par la mise en place du parc pilote de Bukanga Lonzo…
Comment se porte l’économie congolaise aujourd’hui ?
En dépit des à-coups de la conjoncture internationale marquée par la baisse des cours de nos principaux produits à l’exportation, les fondamentaux (inflation et croissance, situation des finances publiques, taux de change et position extérieure, situation de la monnaie, du crédit et du secteur financier) restent sous contrôle.
Certes, il y a eu ce frémissement du taux de change observé aux deux premiers mois de cette année au terme duquel le palier est passé, six ans après, de 927 FC/le dollar en moyenne à 935 FC. Ce frémissement fait suite aux chocs externes relevés ci-haut. Mais il est aussi le fait des chocs internes tenant à deux éléments principaux : primo, l’augmentation des encours de refinancement accordés à certaines banques de la place et, secundo, la concentration, sur des périodes relativement courtes, des déficits publics entraînant la consommation rapide des dépôts antérieurement constitués. Je puis vous rassurer cependant que tout est rentré dans l’ordre.
Pendant quatre ans, vous vous êtes transformé en véritable « VRP » pour attirer les investisseurs étrangers. Y êtes-vous parvenu et comment ?
Au sens strict, le VRP (Voyageur Représentant Placier) est chargé de démarcher les clients et de vendre des produits pour une ou plusieurs entreprises. A l’échelle d’un pays, les dirigeants ont cette lourde charge de vendre l’image de marque du pays en s’investissant dans l’amélioration du climat des affaires. La RDC a été citée parmi les grands pays réformateurs dans le classement doing business 2014. Mais le chemin à parcourir dans ce domaine est encore très long, concernant surtout le volet juridique et judiciaire.
Quels sont les secteurs prioritaires d’investissement en 2016 ?
Le Plan national stratégique pour le développement comporte trois principales séquences. Celle de 2016 à 2020 avec comme objectif de faire passer la RDC de pays à revenu faible à celui à niveau intermédiaire met en exergue la création d’une société agricole. A ce stade, la priorité est le développement de l’agriculture et de ses ingrédients nécessaires, à savoir les infrastructures de transport et énergétiques.
La deuxième séquence est celle de 2020 à 2035, avec comme objectif de faire passer la RDC de pays à revenu intermédiaire à celui émergent. Ici, l’accent sera porté sur le développement d’une société industrielle. Ainsi, la priorité sera l’accélération de la transformation structurelle de l’économie avec comme soubassement son industrialisation. Et enfin nous avons celle de 2030 à 2050, avec comme objectif de faire passer la RDC de pays émergent à une économie développée. A ce stade, la priorité sera portée sur la société des connaissances.
Malgré les efforts du gouvernement, l’insécurité persiste toujours dans l’Est du territoire…
En sa qualité de président du Conseil supérieur de la défense, je peux vous assurer que cette question préoccupe le chef de l’Etat au plus haut point. Dans sa vision, que je partage, la paix est la condition sine qua non pour assurer le développement durable de la RDC. Car aucune réforme, aucun développement n’est possible dans un climat d’insécurité.
La complexité de cette question appelle des réponses multidimensionnelles. La première dimension est la dissuasion. La montée en puissance de nos forces de défense et de sécurité depuis ces dernières années constitue une preuve éloquente de l’efficacité des différentes mesures arrêtées dans ce secteur. Ces mesures devront se poursuivre par le mécanisme de recrutement systématique au sein des FARDC (Forces armées de la République démocratique du Congo, Ndlr). L’objectif est d’assurer le rajeunissement des troupes en vue d’apporter une nouvelle dynamique et un sang neuf dans les rangs de nos forces armées.
Mais des groupes armés sont toujours présents sur le territoire congolais…
Pour ce qui est des groupes armés étrangers, le processus DDR (Désarmement, Démobilisation et Réintégration, Ndlr) va se poursuivre. Il vous souviendra que le chef de l’Etat venait de lever l’option pour une assistance, en tant que de besoin, de la part de nos partenaires de la Monusco. Cette nouvelle collaboration sera désormais soumise à une évaluation périodique en vue de dissiper les malentendus éventuels et de progresser. Cette action est renforcée par des pourparlers au niveau diplomatique, notamment dans le cadre de la CIRGL (Conférence internationale sur la région des Grands Lacs, Ndlr).
Concernant les groupes armés nationaux, la mesure-phare consiste en une sensibilisation pédagogique des populations locales. La population est ainsi appelée à apporter tout le soutien nécessaire et une collaboration inconditionnelle aux forces loyalistes, et partant s’abstenir de toute collaboration avec l’ennemi. Des cadres de concertation, appelés « barza communautaires » ont été instaurés en vue d’assurer un dialogue permanent et une confiance mutuelle entre certaines communautés.
2016 est une année électorale en RDC. Comment se préparent les différents scrutins et un budget a-t-il été dégagé pour leur tenue ?
Comme vous le savez, la préparation technique du processus électoral relève de la Ceni (Commission électorale indépendante, Ndlr). Le gouvernement s’occupe de l’aspect financement. En ce qui nous concerne donc, conformément au plan de décaissement présenté par la Ceni, dans le cadre de la révision du fichier électoral, le gouvernement décaisse mensuellement, depuis janvier de cette année, l’équivalant en franc congolais d’une enveloppe de 20 millions de dollars américains. A ce jour, deux décaissements ont été effectués, et à partir du mois de juillet, cette enveloppe devra passer à 30 millions de dollars américains par mois.
L’opposition soupçonne le chef de l’Etat de chercher à « glisser » au-delà de 2016. Que lui répondez-vous ?
Il n’est pas indiqué de prêter des intentions au président de la République. Il ne s’est jamais exprimé sur la question. Inutile de le soupçonner.
Peut-on envisager que vous vous lanciez dans la course à la présidentielle au cas où le chef de l’Etat ne se présenterait pas ?
Je suis encore Premier ministre et je continue à jouir de la confiance du président de la République. Je suis donc préoccupé par le suivi, l’évaluation, l’impulsion et la coordination de l’action gouvernementale en vue de matérialiser la vision du chef de l’État axée sur la « Révolution de la modernité ».
Propos recueillis à Kinshasa par Lucien Ahonto, envoyé spécial
© Notre Afrik N°65, Avril 2016
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