La force de ses textes et la particularité de sa musique font de Madou, Jinadou Isbath de son vrai nom, une chanteuse qu’on ne se lasse pas d’écouter et de réécouter. Un délice pour les oreilles et les yeux. Entretien avec une baronne de la musique africaine.
Notre Afrik : Après 17 ans de carrière musicale, quel regard portez-vous sur votre parcours ?
Madou : Aujourd’hui, j’ai cinq albums et un Best of de 20 titres audio et un DVD de 14 clips. Je travaille actuellement sur ma septième œuvre musicale. J’ai été danseuse, mannequin et j’ai également fait du cinéma. Je suis présente dans le milieu musical depuis plus de vingt ans. Mais ma carrière a réellement démarré en 1996 avec le prix de la Paix que j’ai reçu au Bénin. J’ai fait mes premiers pas dans la musique depuis le col- lège. C’était une époque où il y avait une « certaine » Angélique Kidjo qui fait partie de mes aînés et qui est devenue depuis la grande chanteuse que l’on connaît.
Aujourd’hui, quels sont vos rapports avec cette grande dame de la musique béninoise ?
Angélique Kidjo est une aînée que j’ai connue avec le groupe « Les Sphinx » du collège d’enseignement général de Gbégamey, à Cotonou. C’est un collège qui a vu naître plusieurs artistes. Angélique Kidjo y a aussi fait ses premiers pas. Ce sont ces aînés qui ont détecté en moi une graine de chanteuse, quand il a fallu choisir une activité culturelle à l’école. C’était dans les années 1980. On ne se voit pas souvent, mais chaque fois qu’on se retrouve, c’est un grand bonheur. Nous avons de très bons rapports. J’ai d’ailleurs commencé mon premier album dans le studio de son grand-frère, Oscar Kidjo, à Co- tonou en 1994.
Et vous, vous êtes devenue une baronne, puisqu’on vous appelle Madou la baronne.
Miriam Makeba était une diva, Angélique kidjo est une diva. Moi, je suis une baronne de la musique béninoise, pourquoi pas africaine, parce que je rêve grand. Quand je chante, je ne suis pas seulement sur scène, je parais sur scène. C’est capital, car un artiste doit paraître sur scène à travers son art, à travers sa per- sonne. Pour moi, la musique est un don de Dieu. Je n’ai pas fait d’école de musique, mais je sais discerner les fausses notes. J’ai fait tous les orchestres de Cotonou, dont le Tout-puissant Poly- Rythmo et le Black Santiago…
Aujourd’hui, vous avez votre propre signature musicale.
Je fais de l’afro musique. C’est une fusion des folks authen- tiques du Bénin, du Nigeria, de l’Afrique en général. On y retrouve plusieurs rythmes : de l’afrobeat, de la pop, du reg- gae, du high-life, du R’nB… C’est pourquoi, on m’appelle la dame de l’afro musique ou la chanteuse aux reins habiles, car sur scène je fais vibrer le corps et l’esprit (Rires). C’est cette fusion qui donne une coloration assez particulière à ma musique. Je fais la musique pour faire plaisir au public, mais aussi pour me faire plaisir. C’est ce qui me pousse à travailler. L’une de mes chansons sur le sida est conçue sur le rythme « couper-décaler ». Mais si vous l’écouter bien, vous entendrez des percussions, du « gangan » (talking drums ou tambours d’aisselle). Même lorsque je fais un slow, on retrouve toujours ce grain de l’Afrique, des percus- sions, du djembé du gangan, de la tumba. Ma musique résiste au temps. Elle a l’étoffe des grandes musiques qui résistent au temps et qui ne meurent jamais, car à chaque fois qu’on l’écoute on dé- couvre toujours quelque chose.
Les mélomanes apprécient également la profondeur de vos textes.
J’ai la chance d’être une chanteuse à textes. Celui qui écoute mes chansons doit y trouver une approche de solution à ses pro- blèmes. Je développe plusieurs thèmes. En 1996, je n’avais même pas encore sorti mon premier album lorsque j’ai reçu le prix de la Paix. Ce prix m’a été remis par le club Jeunesse et progrès et la Fédération des ONG du Bénin. C’était lors d’élections tendues, une époque très difficile où le Bénin a failli basculer dans la violence. Dieu m’a inspirée « Dotou » (Prends patience, en langue fon, Ndlr). Cette chanson a permis aux Béninois de se ressaisir, car le message est très fort. Des Béninois disent que cette chanson reste jusqu’aujourd’hui la meilleure chanson pour la paix.
Quels sont les chanteurs qui vous inspirent ou vous influencent ?
Je n’ai pas un choix particulier, j’apprécie de nombreux artistes. Maisilyenaquimefontrêver à travers leur art. Je ne veux pas les nommer, au risque d’en oublier et créer des frustrations. Un artiste qui fait du bon bou- lot nous pousse à le respecter. Sur mes différents albums, j’ai eu la chance de faire des featuring avec des artistes comme O’Nel Mala, O’rentchy. J’aime travailler avec des artistes qui ont la même vision que moi.
Je peux déjà vous dire qu’il y aura beaucoup de featuring sur mon prochain album. Les chan- sons sont prêtes, je cherche seu- lement un producteur qui sache vraiment ce que c’est que produire un album. J’ai produit moi- même mes premières œuvres, mais maintenant j’ai besoin d’un vrai professionnel car ce n’est pas facile pour un artiste de s’auto-produire. Il revient à l’artiste de chanter et au producteur de pro- duire. L’artiste a ses relations, mais le producteur a un circuit.
Faites-vous partie des artistes musiciens qui arrivent à vivre de leur art ?
Tout dépend de ce que vous appelez vivre de son art. Oui, dans le sens où avec le cachet de mes prestations, je peux m’offrir ce que je veux. Non, parce que les pirates ont pris le marché. Les artistes n’arrivent pas à récupérer ce qu’ils inves-
tissent dans la création de leurs œuvres. Par exemple, certains préfèrent faire chanter mes chansons sur le sida par d’autres personnes lors de certaines cérémonies. Mais ce serait génial s’ils m’invitaient afin que je vienne moi-même faire passer ce message qu’ils apprécient ! Sans ce fléau, les artistes pourraient vivre décemment de leur art. Aujourd’hui, nous sommes obligés de ne compter que sur les concerts pour pouvoir vivre de notre travail. Ce ne sont pas les artistes qui doivent lutter contre la piraterie. La piraterie est un vol, c’est un délit. Il faut que chacun prenne ses responsabilités. Les Etats doivent nous aider à mieux vendre nos œuvres pour pouvoir vivre de notre art.
En tant qu’artiste, y a t-il des causes qui vous touchent particulièrement ?
On ne peut pas vivre inutilement sur terre. Je m’implique dans les causes qui me paraissent nobles. J’ai des titres sur le sida. Je continue de chanter la paix. Je chante également la femme (Elle fredonne un air « Les hommes savent tous que le bon Dieu ne peut être qu’une femme », Ndlr.) La femme ne fait pas la guerre, elle discute. Les femmes papotent beaucoup mais elles arrivent toujours à trouver le juste milieu. Je chante aussi la solidarité et l’entraide. Ma chanson « Dagbégnon » est un appel à la solidarité. C’est ce titre que l’on utilise au Bénin lors des mobilisations de fonds et des appels à la solidarité. Je dénonce aussi le dieu argent qui nous pousse à faire la guerre. Je fais donc ce que je peux pour être utile à mon Afrique.
Vous chantez la femme, quel regard portez-vous sur la situation de vos sœurs…
Les femmes africaines sont marginalisées. On dit qu’on fait tout au nom de la femme et de l’enfant, mais dans la réalité, la femme a été oubliée. Je dis bravo à toutes les femmes qui ont des postes de responsabilité. Je suis fière de voir des femmes qui oc- cupent des places importantes dans les instances de dé- cision. Vous savez, les hommes ont peur des femmes. Ils savent que lorsqu’une femme a un objectif à atteindre, elle se bat pour y arriver. La femme ne fait pas de détour, elle fonce. Je souhaite qu’un jour, les femmes tiennent l’Afrique, car les hommes ont échoué et ils doivent démissionner. Autour de nous, il n’y a que frustrations et guerres.
Propos recueillis par Jacques Mangoua, correspondant en Côte d’Ivoire
© Notre Afrik n°41, Février 2014.
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