Son passage au poste de ministre belge de la Coopération au développement aura donné un nouveau souffle aux relations entre la Belgique et l’Afrique centrale. Un an après son entrée en fonction, l’heure est déjà au bilan pour Jean-Pascal Labille. Le socialiste, qui ne sera pas candidat aux élections législatives, pourrait quitter définitivement ce maroquin qu’il affectionne particulièrement… Celui que l’on annonçait comme un technocrate partage ses visions et grands projets pour l’Afrique. Tour d’horizon des constats, analyses et réflexions de cet ancien patron des syndicats socialistes belges sur la RD Congo, le Rwanda, le Burundi mais aussi la République centrafricaine et le Soudan du Sud.
Notre Afrik : Vous êtes ministre de la Coopération depuis un an. Quel bilan faites-vous de ce mandat qui touche progressivement à sa fin ?
Jean-Pascal Labille : Tout d’abord, nous avons l’ensemble du dispositif réglementaire et législatif. Tous les mécanismes sont mis en place maintenant. Ensuite, ce qui m’importait, et je l’ai dit d’entrée de jeu, c’était de donner de la visibilité à l’Afrique centrale. C’est le cas, avec sa mise à l’agenda du conseil européen de développement du 12 décembre dernier. Et enfin, ce n’est peut-être pas tellement à moi de le dire, mais on a redonné de la visibilité à la coopération belge. C’est un merveilleux département et il faut lui donner la place qu’il mérite.
Quels projets souhaitez-vous encore mettre en route avant les élections législatives, régionales et européennes du 25 mai 2014 ?
Je souhaite lancer une réflexion avec l’ensemble des partenaires en Belgique pour déterminer ce que sera la coopération dans dix ou vingt ans et réaliser une feuille de route. Feuille qui sera utilisée ou pas par ceux qui me succéderont. Ensuite, je veux continuer de faire en sorte que la Belgique soit présente dans la région des Grands Lacs. Enfin, je suis persuadé que l’Afrique est le continent de ce siècle. Je veux lancer une réflexion plus géopolitique sur les relations de l’Europe avec l’Afrique. Mais aussi de l’Europe avec la Belgique et de l’Afrique avec l’Afrique centrale.
Vous avez dit que vous ne vous présenterez pas aux prochaines élections. Tout en précisant que vous resteriez disponible pour votre parti. Si vous êtes rappelé à ce poste, l’accepterez-vous ?
Il y a différentes manières d’aider un parti pendant cette campagne, notamment en s’exprimant, mais autour de valeurs et d’un projet de société. Je vais répondre un peu indirectement à votre question : c’est un merveilleux département. Il faut avoir un affectio societatis pour l’Afrique notamment pour pouvoir bien entrer dans la matière. Matière pas facile mais passionnante.
Plus précisément…
Choisir, c’est mourir. J’ai eu la chance de tomber dans un ministère avec des matières qui me collent à la peau. Avec la coopération, vous voyez la misère du monde et vous essayez d’apporter votre pierre à l’édifice pour la solutionner. Et sur le plan humain, j’ai rencontré, tant au Rwanda qu’au Burundi ou en RD Congo, des gens d’une gentillesse exceptionnelle alors qu’ils vivent dans le dénuement le plus total. C’est quelque chose qui me manquera. Mais c’est la vie.
Que pensez-vous de la déclaration, signée à Nairobi, entre le gouvernement congolais et le M23 ? Ce n’est pas l’aboutissement que souhaitait la communauté internationale des négociations de Kampala…
C’est leur solution à eux. Certaines exigences étaient, à un moment donné, excessives de la part de l’une des parties. Il faut saluer la reddition du M23 et d’un certain nombre de groupes armés. Mais cela ne veut pas dire pour autant que toute la violence soit éradiquée. Ce n’est pas tout d’instaurer la paix : il faut la maintenir structurellement.
Beaucoup de groupes rebelles restent actifs, malgré l’amnistie avec le M23. Etes-vous optimiste malgré tout ?
Modérément. La paix est là, mais pas d’angélisme ! Les germes qui ont porté la guerre sont encore présents. C’est pourquoi je suis favorable à l’extension du rôle de la Monusco (Mission de l’ONU pour la stabilisation de la RD Congo, Ndlr) au contrôle des mines. C’est un sujet sensible, mais j’y suis favorable.
On vous prête l’intention d’aller bientôt à Kigali. Avec quel message pour le président rwandais Paul Kagamé ?
Par le passé, on sait qu’un certain nombre de choses ont été faites (le financement du M23 par le Rwanda constaté par l’ONU, Ndlr). Je l’ai toujours dit, je ne veux pas stigmatiser. Mais je ne veux pas non plus être dupe. Il y a vraiment maintenant une fenêtre d’opportunité pour que chacun, je dis bien chacun, de ces pays prenne ses responsabilités pour se tourner résolument vers l’avenir, en maintenant la paix et en développant des projets socio-économiques.
Au Burundi, le pouvoir est accusé par l’opposition de vouloir modifier la Constitution en vue d’autoriser le président Nkurunziza à briguer un troisième mandat. Qu’en pensez-vous ?
On n’a pas pour habitude de se mêler des affaires internes des pays. Mais le moment venu, il y aura un message coordonné par le Premier ministre et le ministre des Affaires étrangères. C’est prématuré pour l’instant, mais cela ne nous dispense pas d’attirer leur attention. Cela ne veut pas dire non plus que nous ne sommes pas fermes.
En République centrafricaine, le président français, François Hollande, appelle à une intervention européenne. C’est aussi votre position ?
La situation est dramatique en Centrafrique. C’est un pays qui ressemble aujourd’hui, de par l’effondrement total de l’Etat, à la Somalie. Les conflits ethno-religieux sont des conflits très graves qui laissent des traces pour longtemps et s’enracinent dans la société. Il faut y être attentif. Puis, c’est la résultante de la volonté de certains groupes terroristes de faire de l’Afrique leur terrain de jeu privilégié. Oui, l’Europe doit intervenir, plutôt que de passer par une action isolée de chaque pays. Mais si l’Europe avait une coordination plus grande, elle serait plus efficace.
Le Soudan du Sud connaît également d’importants conflits. Et 2 000 réfugiés centrafricains sont arrivés au nord de la RD Congo. Ces conflits ethnico-religieux ne risquent-ils pas de se propager à toute la région et au Congo qui trouve à peine un peu de sérénité ?
Ce n’est pas du tout impossible. D’où la nécessité de réagir rapidement. Le problème est qu’on est toujours dans le curatif, alors qu’on doit être aussi dans le préventif. Moi, je suis pour un Observatoire des conflits : un certain nombre de palpeurs de signaux dans la société qui font qu’on sent qu’un conflit arrive et qui nous permettent de réagir en amont. Dès 1990, tout cela était présent au Rwanda, on savait que cela allait arriver et on n’a rien fait.
A quoi ressemblerait cet observatoire ?
Des sociologues et des psychologues de terrain qui se mêlent à la société civile et à la population, qui écoutent ce qui se dit et qui ont une boîte à outils pour expliquer que celui qui est à 3 kilomètres — parce que c’est de cela qu’il s’agit — ne veut pas les tuer. L’Observatoire de prévention des conflits serait une institution internationale. Etsi l’Europe avait un peu d’ambition, elle pourrait le créer.
Comment évaluez-vous aujourd’hui la coopération de la Belgique avec la RD Congo ?
Nous avons eu un exercice intéressant avec le ministre de la Coopération et des Affaires étrangères, Raymond Tshibanda, sur l’analyse « critique » de notre coopération. C’était un exercice très utile. J’ai vu des projets magnifiques, d’autres nettement moins. Nous sommes en train de reconsolider l’ensemble des programmes de coopération. Nous avions un Programme indicatif de coopération (PIC) 2010-2013, avec un autre, de 2007 à 2010, qui n’était même pas fini. Au lieu de se lancer tête baissée dans des programmes, il est préférable de consolider l’ensemble avec un nouveau PIC court qui inclura les précédents.
Le nouveau gouvernement congolais se fait attendre…
Quand il sera annoncé, je verrai son programme. Je rappelle toutefois que le gouvernement actuellement en place n’est pas démissionnaire. Il n’y a pas d’obligation juridique à avoir un nouveau gouvernement. J’attends et j’espère que le futur gouvernement aura des priorités fortes, notamment sur les droits de l’Homme et la gouvernance.
Quel regard portez-vous sur le gouvernement de l’actuel Premier ministre Matata Ponyo ?
Il y a des avancées en matière de gouvernance. Mais il reste encore beaucoup à faire quant à la construction de l’administration, de la justice, des forces de sécurité.
La Belgique est reconnue experte de la région des Grands Lacs par la communauté internationale. Comment qualifierez-vous aujourd’hui les rapports entre la Belgique et l’Afrique ?
La Belgique est écoutée. Bon nombre de partenaires internationaux, pour ce qui est du Congo-Kinshasa ou de l’Afrique centrale, demandent toujours l’avis de la Belgique. C’est bien d’avoir mis l’éclairage sur la région. Mais c’est insuffisant. Je voudrais reconstruire une vraie relation avec l’Afrique centrale qui permette de la tirer vers le haut. C’est extrêmement compliqué parce que l’interlocuteur d’en face doit être dans la même logique. La relation, je la qualifierais donc de bonne parce qu’on se parle et on se comprend. Elle pourrait être très bonne si on avait des objectifs communs qu’on atteignait.
Le budget 2014 vient d’être bouclé. Qu’avez-vous dégagé pour les dix-huit partenaires de la coopération belge, dont treize pays africains, en ces temps d’économies ?
Nous sommes à 1,9 milliard d’euros, soit 200 millions de plus que 2013.
Propos recueillis par Sophie MIGNON
© Notre Afrik N°40, Janvier 2014
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