Fin de cavale pour l’ex-golden boy algérien. Abdelmoumène Rafik Khalifa est ramené au bercail le 24 décembre dernier, extradé du Royaume-Uni où il s’était réfugié depuis février 2003 pour échapper à la justice de son pays. Condamné par contumace à la réclusion à perpétuité en mars 2007 en Algérie, après le fracassant effondrement de son empire construit autour de Khalifa Bank, cet ancien pharmacien sera à nouveau traduit devant la justice. Un procès tant attendu, qui devrait s’ouvrir en avril prochain. Considérée comme l’un des plus gros scandales financiers du siècle dernier, l’affaire Khalifa n’a pas encore livré tous ses secrets.
Le ministre algérien de la Justice, Tayeb Louh, est catégorique : le procès de l’ex-homme d’affaires algérien sera rouvert. Abdelmoumène Rafik Khalifa avait été poursuivi et condamné pour « association de malfaiteurs, vol qualifié, escroquerie, abus de confiance et faillite frauduleuse ». Entre autres. Le nouveau procès interviendra-t-il avant ou après l’élection présidentielle d’avril 2014 ? Eludant cette ques- tion pertinente, M. Louh s’est contenté de dire, le 8 janvier der- nier, quinze jours après l’extradi- tion de Rafik Khalifa, que les pro- cédures judiciaires « se poursuivent et aboutiront à un procès public conformément à la loi ».
La sortie du garde des Sceaux constitue une réplique à certains cercles de l’opposition et à des interrogations de la presse. Ceux-ci soupçonnent le pouvoir de vouloir « garder aux frais » l’homme d’affaires jusqu’à la fin du déroulement du scrutin pré- sidentiel. La raison ? Eviter que des responsables et hauts dirigeants, dont certains ont déjà été éclaboussés lors du premier procès de 2007, ne soient de nouveau traînés devant la justice. D’autant que quelques-uns d’entre eux, présentés comme membres ou proches du pouvoir, sont toujours en poste et que d’autres, cités lors de ce procès, n’ont pas été entendus pendant la phase de l’instruction.
Certaines voix de l’opposition ne cachent pas leur crainte de voir l’affaire Khalifa instrumen- talisée à des fins politiques dans la perspective de cette importante échéance électorale, en faisant pression sur les soutiens des futurs candidats ou de ceux qui voudraient changer de camp en lâchant de clan présidentiel. Le dossier Khalifa est donc considéré comme un atout majeur susceptible d’être utilisé pour inciter certaines personnalités, concernées à? des degrés divers, à soutenir l’actuel président de la République s’il venait à rempiler pour un quatrième mandat ou le candidat adoubé par son groupe et lui.
Le citoyen lambda a une autre vision, une autre opinion de cette affaire. Plutôt sceptique, il ne se fait pas trop d’illusion quant à l’issue du futur procès. Pour beaucoup d’Algériens en effet, la réouverture du dossier n’apportera pas de nouvel éclairage sur la fulgurante ascension et la vertigineuse dégringolade de l’ex-empire Khalifa, qui n’aura exis- té que de 1998 à 2002.
CARTE DE VISITE – A l’origine, il y avait un obscur pharmacien de 35 ans qui tenait une officine à Hydra, un quartier huppé d’Alger, où réside une grande partie de la nomenklatura algérienne. Abdelmoumène Rafik Khalifa l’a héritée de son défunt père, Laâroussi Khalifa, un ancien secrétaire général du ministère algérien de l’Armement et des Liaisons générales (MALG), les services de renseignements algériens, durant la guerre d’indépendance (1954-1962). Il disposait donc d’un grand atout en main : la carte de visite de son père qui lui a ouvert toutes les portes. Il s’est d’abord lancé dans l’importation de produits pharmaceutiques avant de fonder, en 1998, Khalifa Bank. L’établissement, créé avec l’autorisation de la Banque d’Algérie et du ministère des Finances, s’est développé rapidement. Les fonds affluaient dans les caisses, car les intérêts promis aux épargnants étaient trois à quatre fois supérieurs (jusqu’à 18%) à ceux offerts par les autres établissements financiers publics du pays. Ce qui appâtait des dirigeants de nombreux organismes et entreprises publics et privés ainsi que des dizaines de milliers de petits épargnants. Khalifa Bank a constitué l’ossature principale de la création, l’une après l’autre, d’une compagnie aérienne, Khalifa Airways, de deux chaînes de télévision basées à Paris et Londres, d’une entreprise de construction et d’une autre de location de voitures de luxe. Le groupe employait quelque 20 000 salariés, l’argent coulant à flot. Abdelmoumène Rafik Khalifa s’était offert le luxe d’acquérir un jet privé et de superbes villas en France, de sponsoriser l’Olympique de Marseille et des clubs algériens, d’inviter à sa table, moyennant « quelques enveloppes bien garnies », des personnalités de renom, surtout algériennes et françaises. Des responsables algériens de divers horizons politique, économique, culturel et sportif voyageaient gracieusement, avec les membres de leurs familles, sur les lignes domestiques et internationales de sa compagnie aérienne. Comme ses « largesses » touchaient beaucoup de monde, personne, aucune institution ne s’était évertuée à se pencher sur la gestion de Khalifa Bank. Et lorsque Mohamed Djellab, un banquier du secteur public, fut nommé en novembre 2002 administrateur provisoire à la tête Khalifa Bank, il était déjà trop tard. Le navire avait pris l’eau de toutes parts ! « Pour rendre Khalifa Bank conforme à la loi, il fallait trouver comme point de départ 75 milliards de dinars (un peu plus de 700 millions d’euros, Ndlr) », avait-il dé- claré devant le tribunal de Blida lors du procès de 2007. Les trois autres actionnaires du groupe, en l’occur- rence Omar Guellimi, l’épouse et le frère d’Abdelmoumène Rafik Khalifa, avaient refusé de mettre la main à la poche afin de reconstituer les fonds propres de l’établissement. L’issue fatale, la faillite, était inéluctable. Elle était immédiatement suivie par l’entrée en lice de Moncef Badsi, le liquidateur.
L’empire Khalifa s’est effondré comme un château de sable. Il a emporté dans sa chute de nombreuses entreprises privées, mis en difficulté des dizaines d’entreprises et organismes publics, jeté dans un total désarroi des milliers de petits épargnants qui ont vu, impuissants, leurs économies fondre comme beurre au soleil. Les promesses du gouvernement de les indemniser n’ont toujours pas été honorées. Leur nombre tournerait autour de 12 000 personnes, selon le président de leur association. Des cas de suicide et de dépression d’hommes d’affaires enregistrés à l’époque ont été associés, à tort ou à raison, à la banqueroute de Khalifa Bank dont le préjudice causé aux clients est estimé par des avocats entre 1,5 et 5 milliards de dollars.
Après qu’il eut épuisé tous les recours auprès des instances judiciaires anglaises et européennes, Abdelmoumène Rafik Khalifa, dont le procès de 2007 a été cassé par la Cour suprême, est donc extradé dans son pays pour y être rejugé. Mais dans leur grande majorité, les Algériens restent dubitatifs quant au verdict qui sanctionnera ce nouveau procès. Ils estiment que celui-ci ne risque pas, à quelques nuances près, d’être différent de celui prononcé en mars 2007 par le tribunal criminel de Blida, à 50 kilomètres au sud d’Alger. Le jugement n’avait envoyé derrière les barreaux que des « lampistes », selon la presse, des avocats et des personnalités politiques à l’époque. « Nous ne croyons plus à la justice algé- rienne, pour la simple raison que les vrais responsables de ce scandale n’ont pas été touchés », a martelé Omar Abed, président de l’Association des clients spoliés de Khalifa Bank au magazine algérien Maghreb Emergent.
Des proches de hauts responsables cités par des avocats de la défense lors du procès, qui a duré du 8 janvier au 26 mars 2007 et a vu défiler à la barre près de 300 personnes, n’ont pas été convoqués lors de l’instruction. De hauts responsables eux-mêmes, y compris des ministres, cités dans l’affaire, ont été entendus comme simples témoins. Le secré- taire général de l’Union des travail- leurs algériens (UGTA), Abdelmadjid Sidi Saïd, qui avait « assumé » publiquement sa décision de déposer à Khalifa Bank d’importants fonds des Caisses nationales des assu- rances sociales, sans avoir consulté au préalable le Conseil d’administration ni obtenu son accord, est ressorti du tribunal libre comme le vent.
Sidi Saïd, partisan inconditionnel du chef de l’Etat, Abdelaziz Bouteflkika, est toujours à la tête de l’organisation. Des ministres cités dans l’affaire ou convoqués comme témoins sont encore en fonction. Certains ont même bénéficié de promotion. Dans ce cas, il sera difficile de convaincre sur la régularité et la probité du ou des prochains procès.
Par MOHAMED AREZKI HIMMEUR, correspondant en Algérie © Notre Afrik N°41, Février 2014
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