Ancien Premier ministre et ex-ambassadeur du Burkina Faso à Bruxelles, Kadré Désiré Ouédraogo n’a rien perdu de sa foi en l’Afrique. En nous recevant dans ses bureaux sis au 5e étage du 101 Yakubu Gowon Crescent, Asokoro District, à Abuja, celui qui est depuis mars 2011 président de la Commission de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest n’a éludé aucune de nos préoccupations. Les grands chantiers de la Cédéao, les nouvelles mesures pour assurer la libre circulation des biens et des personnes, le Tarif extérieur commun, les Accords pour le partenariat économique… constituent ainsi le menu de cet entretien franc et direct.
Notre Afrik : La Cédéao est-elle consciente qu’il est plus simple de rallier l’Europe à partir du continent que d’aller d’une capitale africaine à une autre ?
Kadré Désiré Ouédraogo : Nous avons fait le constat que la situation des transports aériens est quelque peu difficile dans notre région. La faible fréquence des vols, mais aussi les tarifs souvent exorbitants dissuadent nos populations de voyager par les airs comme elles l’auraient souhaité. Nous avons élaboré un dossier qui a été examiné lors de la 43e session de la Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement tenue à Abuja au mois de juillet 2013. La conférence a désigné le président ivoirien, Alassane Ouattara, pour diriger les actions innovantes en matière de transport aérien afin que nous puissions opérer, dans un avenir proche, une avancée significative dans ce secteur en Afrique de l’Ouest.
Une ressortissante de la Cédéao affirme avoir subi 53 contrôles sur le trajet entre Ouagadougou (Burkina Faso) et Cotonou (Bénin). N’est-ce pas trop ?
C’est toujours trop ! A ce niveau également, nous avons soumis à la Conférence des chefs d’Etat un dossier spécifique sur la libre circulation des personnes et des biens. Nous pensons que pour construire notre communauté, il est absolument indispensable que nous puissions assurer une réelle liberté de circulation des personnes.
Les chefs d’Etat ont d’ailleurs décidé de confier à leur pair burkinabè, le président Blaise Compaoré, le soin de superviser la mise en œuvre effective de toutes les décisions et tous les protocoles de la Cédéao en matière de libre circulation des personnes. Evidemment, nous travaillerons à ses côtés pour l’assister dans cette mission que ses homologues lui ont confiée.
Qu’est-ce qui a été concrètement fait jusqu’à présent pour faciliter la libre circulation des personnes dans l’espace Cédéao ?
Nous avons parcouru un long chemin. Nous avons aboli les visas entre les 15 Etats membres. Nous sommes passés à l’étape suivante, le droit de résidence, grâce auquel tout citoyen de la Communauté a le droit de résider librement dans les pays autres que le sien. Nous sommes allés jusqu’à la phase du droit d’établissement. C’est un grand succès que beaucoup de régions envient à la Cédéao.
Toutefois, nous ne devons pas nous satisfaire de cela. Nous demeurons conscients qu’il subsiste des obstacles dans la mise en œuvre des protocoles. Des incidents nous sont souvent rapportés pour lesquels nous intervenons.
Quels sont vos nouveaux chantiers ?
Il serait plus juste de parler d’accélération et de concrétisation des nombreux chantiers qui sont déjà ouverts. Dans tous les domaines de la vie économique et sociale, la Cédéao a initié un certain nombre d’actions, notamment en matière de paix, de stabilité, de démocratie, d’amélioration des infrastructures, de libre circulation des personnes et des biens, de sécurité alimentaire, de développement de la production agricole, sans oublier l’énorme chantier de réformes institutionnelles.
Comment parvenir à une Cédéao véritablement forte ?
A mon humble avis, pour que notre communauté devienne véritablement forte, il faut qu’elle soit davantage intégrée. Nous ne pourrons pas créer un sentiment d’appartenance chez les populations si nous ne leur expliquons pas le pourquoi et le sens des démarches d’intégration que nous entreprenons. Nous devons associer la population. Nous devons faire en sorte d’accélérer le rythme de notre intégration, mais aussi exploiter la ressource première que nous avons, c’est-à-dire les hommes et les femmes qui composent cette communauté et particulièrement la frange jeune.
Voulez-vous parler de la « Cedeao des peuples » ?
Effectivement, la cédéao des peuples est en marche et nous la mettons en œuvre tous les jours. Désormais, le processus participatif est de règle dans tout ce que nous entreprenons. Nous avons bien sûr l’habitude de consulter les administrations publiques, mais également le secteur privé, les organisations de la société civile pour qu’ensemble nous puissions concevoir les projets et programmes, et qu’en synergie nous les réalisions et en assurions le suivi. A chaque étape du processus, nous faisons en sorte d’associer la population.
Je voudrais mentionner plus particulièrement le Parlement de la Cédéao que nous consultons pour toutes nos décisions majeures. Ceci pour nous assurer que nous avons avec nous les représentants des peuples. A cet effet, nous sommes en train de travailler à l’élargissement des pouvoirs de ce Parlement pour que ses membres soient les vrais garants de l’intérêt général au niveau de notre région.
Où en est la mise en œuvre du Tarif extérieur commun ?
Le Tarif extérieur commun (TEC) est l’étape ultime de la création d’une union douanière. Le TEC de la Cédéao a été approuvé lors du sommet extraordinaire du 25 octobre 2013 à Dakar, au Sénégal. Je dois dire qu’avec cette décision historique de Dakar, la Cédéao a ainsi consacré son union douanière. J’en suis très heureux et très fier, car c’est un objectif que nous poursuivions depuis une trentaine d’années.
Cela veut dire qu’à partir du 1er janvier 2015, les quinze pays membres de la Cédéao auront un même cordon douanier vis-à-vis du reste du monde. Ceci nous permettra de reformuler notre offre d’accès vis-à-vis de l’Union européenne.
Les Africains doivent-ils oui ou non signer les Accords de partenariat économique (APE) ?
Les APE visent à faire en sorte que le commerce et le développement des échanges participent au développement des pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique. Tirant les leçons de l’expérience de l’aide au développement que l’Union européenne a accordée à ces pays durant une trentaine d’années, l’Accord de Cotonou de juin 2000 a innové dans l’objectif de faire du commerce un levier de développement. Maintenant, nous sommes pour un APE Afrique de l’Ouest-Union européenne, mais un APE qui soit promoteur de développement.
C’est pour cela que nous insistons pour que l’APE soit un instrument de développement favorisant l’intégration des Etats, accroissant leurs capacités d’ajustement, améliorant leur compétitivité, construisant leur marché régional afin qu’ils puissent tirer bénéfice du commerce international. Sans ces aspects, l’APE avec l’union européenne n’aurait pas de sens s’il ne devait être qu’un simple accord commercial. (…) Pour nous, la priorité c’est de bâtir un marché régional fort, capable de s’ouvrir au reste du monde. La dimension développement de l’APE est absolument incontournable.
Faut-il donc y aller?
Il faut y aller dans les conditions qui soient satisfaisantes pour notre région.
A peine nommé, vous avez fait face à deux crises majeures : Mali et Guinée-Bissau. Quel est votre sentiment aujourd’hui après l’élection du président Ibrahim Boubacar Kéita au Mali ?
Ma prise de fonction a été effectivement mouvementée. Mais ma consolation est d’avoir bénéficié de la détermination de nos chefs d’Etat et de gouvernement, et particulièrement du président Alassane Ouattara, président en exercice de la Cédéao, dont je salue le dynamisme dans la gestion des crises que nous avons vécues. Grâce à l’engagement des chefs d’Etat, de l’appui de la communauté internationale, de l’Union africaine, nous sommes en mesure de dire que l’ordre constitutionnel est rétabli au Mali et que la situation sécuritaire est normalisée dans ce pays.
Il faut reconnaître que le Mali vient de très loin…
C’est pourquoi je dois saluer la médiation de la Cédéao assurée par les présidents Blaise Compaoré du Burkina Faso et Goodluck Ebele Jonathan du Nigeria. La Cédéao leur renouvelle sa gratitude pour leurs efforts en vue de ramener la paix au Mali .Nous sommes conscients qu’il reste un grand travail de réconciliation nationale et de reconstruction à mener. Mais nous avons assuré le président et le gouvernement du Mali de la totale solidarité de la Cédéao, prête à œuvrer à leurs côtés pour leur permettre de réussir les importants défis que sont la réconciliation nationale, le retour à la paix, le renforcement de la démocratie dans cet Etat membre.
Les derniers développements de la situation sociopolitique au Mali montrent que la situation reste encore préoccupante…
Je pense que c’est une situation à laquelle il fallait s’attendre. Personne n’imaginait qu’on pouvait éradiquer le terrorisme en l’espace de quelques mois. Nous pensons que grâce à l’intervention des Nations unies, à l’« Opération Serval », à l’intervention des troupes tchadiennes venues en renfort dans l’esprit de la légendaire solidarité africaine, à la mobilisation de nos forces armées et de nos instances dirigeantes, la situation sécuritaire dans la zone du Sahel est maintenant sous contrôle. Certes, il y aura toujours des soubresauts en prévision desquels il faudra demeurer vigilant.
Les élections, prévues en ce début d’année en Guinée-Bissau, constitueront-elles la fin de l’instabilité politique chronique que connaît ce pays ?
Là aussi, je salue le rôle de stabilisation que la Cédéao a joué dans ce pays. En Guinée-Bissau, il y avait une crise sécuritaire doublée d’une crise institutionnelle. La Cédéao a aidé à mettre en place une transition politique, avec un président et un gouvernement par intérim qui s’occupent des affaires du pays. La Cédéao est intervenue également pour stabiliser le pays du point de vue sécuritaire.
Naturellement, nous ne terminerons la transition que lorsque nous aurons passé le cap des élections générales prévues pour le 16 mars prochain. Des difficultés de dernière heure sont apparues, principalement en matière de financement des élections. Mais les chefs d’Etat et de gouvernement de la Cédéao ont décidé de prendre sur eux la charge de financer intégralement les élections en Guinée-Bissau.
Propos recueillis à Abuja par Morin Yamongbè
© Notre Afrik n°40, Janvier 2014.
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