Avant de quitter ses fonctions à l’Union africaine, l’écrivain et diplomate burkinabè évoque dans cet entretien son ambition pour son pays et aborde les questions pressantes du continent africain en ce début d’année.L’année 2015 commence pour Jean-Baptiste Natama sous le signe d’un nouveau défi. Le jusque-là directeur de cabinet de la présidente de la Commission de l’Union africaine a en effet décidé de s’engager dans un nouveau combat, notamment dans son pays, le Burkina Faso, pour, dit-il, « répondre à l’appel de mon peuple qui a besoin de mes services ».
Notre Afrik : Quels sont les principaux défis à relever par le continent en 2015 ?
Jean-Baptiste Natama : Toujours les sempiternels défis liés à la gouvernance au triple plan social, économique et politique ; au développement économique et social ; aux problèmes de paix et de sécurité ; à l’emploi des jeunes ; à l’implication des femmes dans les sphères politique et économique ; à la faim et la maladie ; à l’accès aux services sociaux de base, pour ne citer que ceux-là.
On pense aussi notamment à des élections qui pourraient susciter des troubles…
En effet, il y aura des élections dans 19 pays africains au cours de l’année 2015 dont certaines comportent de sérieux risques de provoquer des troubles et de dégénérer en crise. Il faut savoir anticiper pour empêcher que des troubles émaillent ces consultations citoyennes, savoir prévenir les crises qui en découleraient.
Comment l’Union africaine entend-elle prévenir d’éventuelles crises ?
La Commission a instruit ses services compétents en matière politique et électorale de faire une analyse de ces élections et de proposer des actions et initiatives préventives à mener pour éviter que surviennent des crises. La Commission se veut ainsi plus proactive. Il reste entendu que le succès de ces initiatives dépendra toujours de la volonté des acteurs politiques en présence dans les pays concernés. Et assez souvent c’est là où le bât blesse.
On reproche à l’UA son apathie et son incapacité à anticiper. Est-ce un procès légitime ?
Un procès que l’on peut comprendre, mais pas tout à fait légitime. Il faut rappeler que l’UA n’a pas une autorité supranationale et ne peut donc pas exercer un pouvoir coercitif sur un de ses Etats membres. D’où le fossé entre l’horizon d’attente des peuples et la capacité réelle de l’Organisation à répondre aux vœux de nos populations.
Pour beaucoup d’Africains, l’UA reste un « machin », qui ne prend pas sa place et sa dimension dans les grands problèmes du continent.…
L’UA fait du mieux qu’elle peut pour accompagner le continent dans la gestion des problèmes auxquels il est confronté. Toutefois, il existe des dysfonctionnements structurels et systémiques qui constituent un goulot d’étranglement pour l’organisation. L’exercice de la souveraineté individuelle des Etats membres reste fort et prépondérant dans les processus décisionnels, entre autres dispositions hélas paralysantes. Le peu d’espace qui nous reste pour l’action, nous l’investissons efficacement.
La réaction de l’UA n’a pas été très glorieuse face à l’épidémie de la fièvre Ebola…
Pourtant, si ! L’UA a été la première qui, ayant perçu les dangers d’une épidémie, a convoqué, dès le mois d’avril, une réunion des ministres africains de la Santé pour en discuter. Mais l’OMS (Organisation mondiale de la santé, Ndlr) qui est en charge de la gestion des problèmes de santé au niveau mondial a minimisé les craintes et rassuré les pays quant à la maîtrise de la situation.
En dépit de cela, en plus d’une aide financière aux pays touchés par l’épidémie, nous avons mis en place un dispositif de soutien qui a permis le déploiement du personnel médical, au nombre de 500 personnes, à la fin décembre sur un effectif total qui atteindra plus d’un millier à la mi-janvier.
Il faut cependant admettre que l’organisation traîne avec elle un lourd déficit en matière de communication. Nous ne crions pas sans doute assez fort sur tous les toits ! Ce qui réduit la visibilité quant à nos initiatives et actions. L’on nous a vilipendés quant au prétendu « manque de réaction » par rapport à la tragédie de Lampedusa. Ce que nos contempteurs ignorent, c’est que nous avons réagi énergiquement face à nos interlocuteurs européens sur la question de l’immigration et des dérives policières, organisé des journées de deuil et institutionnalisé une date de commémoration officielle de la tragédie au sein de l’Union.
Des voix se sont élevées pour critiquer le fonctionnement de l’institution panafricaine et la gestion de la présidente de la Commission. Comment va l’UA aujourd’hui ?
L’UA se porte comme se porte l’Afrique. Ceci pour dire qu’elle est le reflet de ce que les Etats membres veulent qu’elle soit, en termes de mandat, de ressources humaines et financières. Que veulent ou peuvent attendre les Africains d’une organisation portée à bout de bras par des partenaires non-africains ?
Y a-t-il quand même des points positifs à mettre à l’actif de Mme Zuma ?
L’actuelle présidente de la Commission donne le meilleur d’elle-même avec l’ensemble de ses collaborateurs que nous sommes pour sortir l’institution de sa léthargie. Pour donner un sens à son existence.
Rappelez-vous que nous avons élaboré, à travers des consultations populaires, l’Agenda 2063 pour offrir à l’Afrique une plateforme programmatique de développement pour les 50 prochaines années ; négocié et obtenu l’adoption d’une position africaine commune post-2015 en relation avec les OMD ; mis en place une fondation de l’UA pour financer des projets en faveur des peuples africains et qui sera officiellement lancée lors du sommet de janvier 2015 ; lancé l’université panafricaine ; entamé des discussions autour de grands projets d’infrastructures, d’énergie, de transport et de télécommunication, etc. Ce n’est pas peu quand on connaît les contraintes auxquelles l’UA fait face.
Le récent Forum de Dakar sur la sécurité en Afrique a relevé l’incapacité des Etats africains à mutualiser leurs moyens pour assurer leur sécurité. Où est-ce que le bât blesse ?
La question de la mutualisation des moyens pour la gestion de la sécurité est une vieille antienne. Il est évident que face aux défis actuels de la sécurité dus à leur caractère transnational, l’efficacité des réponses locales ou nationales est limitée. Il faut une approche régionale et globale avec des réponses du même type. D’où cet impératif pour les pays de mettre en commun des stratégies et moyens.
Qu’est-ce qui retarde ou bloque l’opérationnalisation de la Force en attente de l’UA ?
L’absence de volonté politique. Vous savez que la question militaire, et par extension celle de la sécurité, est intimement liée à la souveraineté des Etats. Opérationnaliser une telle force reviendrait à concéder, pour un Etat, une parcelle de sa souveraineté et à induire un minimum d’ouverture sur ses capacités militaires et de transparence dans la gestion de la sécurité.
L’ancien chef de la diplomatie sénégalaise, Cheikh Tidiane Gadio, préconise la mise en place de bases militaires africaines en Afrique pour un déploiement rapide. Comment jugez-vous cette idée ?
Ce n’est pas nouveau comme proposition car, en d’autres termes, c’est ce que l’UA, sous l’impulsion de Mme Zuma, a comme projet avec l’idée de la mise en place de la Capacité africaine de réponse rapide aux crises qui fait son chemin depuis 2013.
Comment l’Afrique peut-elle y faire face sans moyens militaires conséquents ?
La défense, la sécurité, la stabilité et la paix ont un prix. Il faut s’en donner les moyens si on en fait une priorité. Du reste, sans ces moyens militaires conséquents, la prétendue souveraineté des Etats africains est un leurre.
Vous savez, mon expérience en la matière m’a beaucoup enseigné sur la nécessité de préserver la paix sur le continent. Au Darfour, l’Afrique prenait ses responsabilités en déployant cette mission dont j’avais la charge. J’ai bien pu me rendre compte des limites de notre action : manque de ressources, faiblesse de moyens logistiques, difficultés liées au terrain semé d’embûches, etc.
La France a-t-elle vocation à redevenir le gendarme en Afrique ?
Pas tant que ça ! Elle joue sa partition dans un contexte international de responsabilité partagée en démontrant sa solidarité quant à la nécessité pour tous de contribuer à la préservation de la paix universelle comme le dicte la charte des Nations unies. Il reste entendu que c’est la faillite des Africains qui favorise les interventions étrangères sur le continent.
Le président tchadien, Idriss Deby Itno, a appelé l’Otan à restaurer la sécurité dans le Sud libyen. A-t-il raison ?
Il a tout à fait raison et je partage ce point de vue. L’Otan a contribué à mettre le pays dans la situation qui le caractérise actuellement. Et la logique voudrait qu’elle finisse le boulot en restaurant la sécurité au profit du peuple libyen, mais aussi de toute la région qui souffre des effets du chaos créé par son intervention.
Le discours de François Hollande sur la démocratie lors du récent sommet de l’Organisation internationale de la francophonie est-il une leçon donnée aux Africains ou un discours de bon sens ?
Un discours de bon sens.
Le président français a notamment évoqué les événements du Burkina et la chute de Blaise Compaoré. Quel regard portez-vous sur le soulèvement populaire intervenu dans votre pays les 30 et 31 octobre ?
C’est le témoignage que le peuple n’était plus en phase avec les gouvernants qui, du fait de leur isolement, ne voyaient pas la révolte grandir. Il nous faut apprendre à rester à l’écoute du peuple à tous les niveaux de responsabilité où nous nous trouvons. Je ne cesserai de répéter que le dialogue social est important dans la gouvernance politique de nos pays. Il faut assurer au peuple des cadres d’expression et veiller en permanence à ce que la promotion de la justice sociale et économique soit le leitmotiv de l’action politique.
Selon vous, un tel épilogue était-il prévisible ?
Souvenez-vous de ce que je disais en 2011 dans votre magazine, après la réélection de Blaise Compaoré en 2010. Je faisais déjà remarquer que ce mandat sera placé sous haute surveillance. J’invoquais par ailleurs les graves problèmes qui caractérisaient la gouvernance du pays, à savoir le déficit de dialogue social allié à un déficit social. Toutes choses qui menaceraient la paix sociale et la stabilité des institutions.
La jurisprudence Compaoré constitue-t-elle désormais pour l’Union africaine un tournant ?
Comme je l’ai souligné plus haut, l’Union africaine reste limitée quant à ses moyens d’action en pareils cas. Néanmoins, ce qui s’est passé au Burkina rappelle à la Commission l’impérieuse nécessité de poursuivre ses efforts en vue de la mise en œuvre de son architecture pour la gouvernance en Afrique.
Que pensez-vous de ces chefs d’Etat, bientôt en fin de mandat, qui rêvent encore de modifier la Loi fondamentale de leurs pays pour prolonger leur bail au pouvoir ?
Dans tout phénomène politique, il y a la conjonction de plusieurs facteurs qui font qu’au-delà de la contextualisation des situations, les réactions peuvent varier d’un peuple à l’autre, d’un groupe à l’autre, etc. Le tout est de ne pas tomber dans des certitudes tranchées, vu qu’il y a toujours une marge d’erreur d’appréciation car la politique n’est pas une science exacte.
Comment jugez-vous les premiers pas de la transition mise en place au Burkina ?
Trop tôt pour juger, mais un sentiment de bicéphalisme au sommet de l’Etat et d’improvisation. Je constate aussi que jusque-là nous n’avons pas une feuille de route claire relative au processus électoral qui demeure la finalité de cette transition.
Après avoir géré le pays pendant 21 jours, le lieutenant-colonel Yacouba Isaac Zida, ancien numéro 2 du Régiment de sécurité présidentielle, a pris les rênes du gouvernement de transition. Est-ce le meilleur scénario ?
A mon avis, non. Mais comme j’ignore les tenants et les aboutissants d’un tel arrangement, je ne peux qu’en prendre acte comme tous mes compatriotes car, in fine, c’est son choix et celui du président de la transition. Souhaitons que cela fonctionne au profit de l’intérêt national.
On a pu noter quelques dissonances dans les déclarations respectives du couple Kafando-Zida qui forme la tête de l’exécutif de la transition, notamment au sujet d’une éventuelle extradition du président Blaise Compaoré…
C’est l’indication qu’il y a un besoin de mettre de l’ordre dans la communication au sein de l’exécutif qui doit donner des signes de cohésion et de discipline.
La suspension de partis politiques de l’ancienne majorité est-elle une bonne décision ?
Les explications fournies pour justifier cette décision ne sont pas claires à mon avis et, de plus, elle pêche par sa partialité.
Quelles devraient être selon vous les priorités de cette équipe de transition ?
Etablir une feuille de route claire avec pour objectif, entre autres, d’organiser à échéance due des élections libres et transparentes en vue d’un retour à une vie constitutionnelle normale.
Vous êtes en train de publier un nouveau livre — Par-dessus la barre haute — qui laisse transparaître vos ambitions pour le Burkina. Songeriez-vous à la prochaine élection présidentielle en vous rasant tous les matins ?
Ce livre auquel vous faites allusion résulte d’un entretien à bâtons rompus avec un vieil ami journaliste panafricain qui connaît ma passion pour le mieux-être et le devenir du continent. Evidemment, il s’y livre ma vision pour l’Afrique et le Burkina Faso, mon pays. J’y aborde modestement quelques pistes possibles à arpenter pour le développement du continent et qui permettraient de sortir des sentiers battus.
En somme, c’est ma contribution dans l’univers bien restreint de la pensée politique en Afrique. Il me semble fondamental de consigner l’expérience des nombreuses années initiatiques auprès des institutions de mon pays, auprès des institutions internationales, au sein de mon peuple dont l’avenir et le devenir me préoccupent.
Pour en revenir à votre question, je ne songe pas à la présidentielle en me rasant tous les matins ; mais je pense plutôt à mon peuple et à l’Afrique qui méritent un bien meilleur sort que ce que nous observons aujourd’hui.
Si vous deviez être candidat à cette élection au Burkina, qu’apporteriez-vous aux Burkinabè qu’on ne leur a jamais promis ?
Il ne s’agira certainement pas d’un panier plein de promesses démagogiques ! Ma vision de l’avenir du Burkina Faso est celle d’un pays uni où l’homme et le peuple sont au cœur de toutes nos actions ; un pays où des femmes, des hommes, des jeunes, fièrement enracinés dans leur culture séculaire, regardent avec sérénité l’avenir qu’ils interrogent, planifient, affrontent avec courage et dignité ; un pays, une société en bonne santé physique et morale ; une communauté de savoir, de savoir-faire et de savoir-être et qui choisit de vivre en bonne intelligence avec ses voisins ; une collectivité productive et solidaire, résolument tournée vers le progrès et la paix, résolument ouverte sur l’Afrique et le monde.
C’est dans ce sens que je leur proposerais que nous nous engagions dans un nouveau contrat social, qu’ensemble nous élaborerions et mettrions en œuvre. Ce contrat reposerait sur un principe, la souveraineté de la volonté générale, et aurait pour objectif primordial la cohésion sociale qui est le ciment de la société. Je répète qu’il s’agit ici d’une vision et non d’un programme exhaustif. Et cette vision devra alors faire l’objet d’une conversion en actions concrètes pour se réaliser dans le cadre d’un programme de gestion collective et de bonne gouvernance pour assurer une prospérité partagée dans un esprit de justice économique et sociale.
L’historien Elikia M’bokolo, qui a préfacé votre livre, estime en parlant de vous que « la relève africaine est là ». Comment accueillez-vous un tel compliment ?
Avec humilité et fierté, mais surtout comme une lourde responsabilité qui ne donne aucun droit à l’erreur. Le professeur Elikia M’Bokolo, que je remercie infiniment pour cet acte de confiance, est un éminent historien de notre continent, qui est à l’écoute du monde entier, qui en connaît les tribulations, les heures de gloire et de honte, et qui en mesure le devenir à l’aune d’une expérience riche, diverse et engagée de militant panafricain.
Confirmez-vous votre départ de l’Union africaine ?
Oui. Sans doute avec un petit pincement au cœur, du moment que je me sépare de collègues, amis, compagnons de route avec lesquels j’ai nourri, pendant plus de deux années, des rêves pour l’Afrique, mené des actions communes pour en améliorer le devenir. Cependant, parfois, l’appel de la terre mère est plus fort que tout. Et il me semble fondamental à ce moment précis de l’histoire de mon pays, que servir l’Afrique c’est aussi le faire à partir de cette terre humble et fière du Burkina Faso où le devoir filial m’appelle.
Quels vœux formulez-vous pour le continent pour 2015 ?
Je souhaite à notre continent la victoire sur la faim, les guerres, l’insécurité et les épidémies telle que la fièvre Ebola. Puisse l’Afrique faire encore des pas dans le sens du renforcement de la gouvernance démocratique et de l’État de droit ainsi que sur le plan de son développement économique et social. Enfin, je souhaite à chaque Africain qu’il prenne la mesure de ses responsabilités individuelles et collectives et qu’il les assume avec sérénité dans l’esprit panafricain.
Propos recueillis par Thierry Hot
© Notre Afrik N°51, Janvier 2015
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