Le député européen Gianni Pittella est le président du groupe SD (Socialistes et démocrates) au Parlement européen. Dans cet entretien exclusif qu’il a accordé à Notre Afrik, il revient sur les relations entre l’Union européenne et l’Afrique, notamment sur le sommet qui s’est tenu à Abidjan du 29 au 30 novembre 2017.
Notre Afrik : Lors du 5ème sommet UE-UA tenu récemment à Abidjan sur le thème « Investir dans la jeunesse », les dirigeants européens et africains se sont engagés à concentrer leurs efforts sur quatre priorités stratégiques ? Quel bilan tirez-vous de ce sommet et quelle analyse faites-vous par rapport à ces quatre priorités stratégiques ?
Gianni Pittella : Le choix de mettre la jeunesse au cœur du sommet a été judicieux, voire nécessaire car le futur des relations entre l’Europe et l’Afrique leur appartient. Et je me félicite que leur apport aux niveaux politique, économique et social pour garantir un futur durable pour nos deux continents ait été reconnu dans la déclaration finale de l’UA et de l’UE. Ceci dit, je regrette que des défis aussi cruciaux que le développement, les investissements, la sécurité, la gouvernance et même la jeunesse aient été d’une manière ou d’une autre étouffé par la migration. Certes, il était plus qu’urgent de réagir avec force et détermination pour mettre un terme aux souffrances indicibles des migrants africains en Lybie, et je salue la mise en place d’une task-force UA-UE-ONU pour fermer les centres de détention infâmes libyens ainsi que la disponibilité de pays comme le Rwanda pour accueillir des hommes, des femmes et des enfants victimes de l’esclavage – qui est un crime contre l’humanité – et d’innombrables violations des droits de l’homme. Mais jamais nous n’aurions dû en arriver là. Le réveil des leaders africains, associé à l’hypocrisie et au fourvoiement de nombreux Etats Membres européens, apparait bien tardif. J’exprime aussi ma déception par rapport au traitement qui a été réservé à la société civile. Le Sommet prévoyait un bref discours officiel de leurs représentants africains et européens pour présenter des recommandations issues du Forum de la société civile UA-UE qui s’était tenu en juin à Tunis dans le cadre de ce Sommet, mais à Abidjan certains Etats Membres de l’UA s’y sont opposés. C’est regrettable.
Depuis que vous assumez la présidence du Groupe S&D au Parlement européen, l’Afrique est devenue une priorité absolue de votre politique étrangère. Quelles sont les raisons de cet engagement ?
De par son poids démographique, ses ressources humaines et naturelles, l’Afrique sera incontestablement le continent du XXIème siècle. A cela s’ajoute sa proximité géographique avec l’Europe. Permettez-moi donc de reformuler votre question : comment aurait-il pu en être autrement ? Par ailleurs les défis communs qui nous attendent sont immenses et il est urgent de les relever aujourd’hui. Prenons le boom démographique africain. D’ici 2050, il y a aura deux milliards d’Africains. C’est à la fois un problème et une opportunité qui nous poussent à mettre en place, dès maintenant, des actions de très grande envergure pour créer des emplois décents pour les jeunes et les femmes, et faciliter l’accès à l’éducation des filles et aux services de planification familiale. Contrairement aux Africains, la population européenne vieillit et d’ici les prochaines décennies, son poids démographique chutera. Dès lors, qui paiera nos systèmes de retraite, quels seront les secteurs économiques en recherche de main d’œuvre ? La gauche progressiste européenne doit avoir le courage de dire que nous aurons besoin de migrants, et non le contraire, car 2050 c’est demain.
Vous avez récemment déclaré que l’Europe doit sortir de sa logique sécuritaire pour faciliter l’ouverture de voies sûres et légales pour les migrants, et favoriser la migration circulaire. Quelles sont ces voies sûres et légales ? Et qu’entendez-vous par « Migration circulaire » ?
L’Europe n’a d’autre choix que celui de mettre un terme à son approche quasi exclusivement sécuritaire aux phénomènes migratoires. Pensons-nous vraiment nous protéger en construisant des murs le long de nos frontières ? C’est impossible. Au-delà des peurs que beaucoup de citoyens européens ressentent face à un avenir incertain, et dont je suis parfaitement conscient, l’Europe doit faire preuve d’intelligence et avoir le courage de défendre ses valeurs. Concrètement, cela signifie créer le long des routes migratoires des voies sûres et légales pour ceux qui fuient les conflits et les zones de crises afin de les protéger des trafiquants d’êtres humains et ensuite les accueillir ; faciliter, de manière régulée et cohérente, l’accès de migrants qui viennent en Europe pour y étudier et travailler. Aujourd’hui, le terme de « migrants économiques » est devenu tabou, sinon perçu comme une menace parmi bon nombre de leaders européens, c’est insensé. Nous avons besoins de main-d’œuvre et de connaissances issues du continent africain dans un contexte où des Africains circulent plus aisément entre notre continent et le leur. Un certain nombre d’entre eux le font déjà, mais l’accès aux visas reste très problématique pour des acteurs qui n’ont pas envie de s’installer en Europe.
Le groupe S&D a soutenu le nouveau plan d’investissement extérieur de l’UE pour l’Afrique qui mobilisera jusqu’à 44 milliards d’euros d’investissement pour favoriser le secteur privé en Afrique, notamment les petites et moyennes entreprises et les États fragiles. Comment optimiser la gestion de cet investissement ? Quels sont les Etats et les secteurs prioritaires ?
Malgré le boom économique africain, de nombreuses entreprises européennes craignent d’investir en Afrique, spécialement les PME, car elles jugent que les risques sont trop élevés, surtout dans les Etats fragiles. Coté africain, l’accès au crédit bancaire reste très problématique. Voilà pourquoi l’UE, à travers la Commission européenne, a lancé ce nouveau plan dont le but est de se porter garant auprès des banques et apporter un appui technique aux bénéfices d’entreprises européennes et africaines qui présentent des projets durables et créateurs d’emplois décents, notamment pour les jeunes et les femmes. L’accès aux financements sera un défi majeur de ce plan, et il faut tout faire afin que le plus grand nombre de PME puissent y avoir accès, en excluant les multinationales qui pratiquent l’évasion fiscale ou celles qui exploitent de manière illégale les ressources du continent africain. Les secteurs identifiés – à savoir l’énergie renouvable, l’agriculture, les villes durables et la numérisation – nous semblent appropriés, mais le Parlement européen veillera à ce que ce plan atteigne ses objectifs.
En définitive, le développement de l’Afrique ne viendra-t-il pas des Africains eux-mêmes plutôt que de tous ces plans d’investissement?
L’indépendance est un vieux rêve caressé par des millions d’Africains qui n’a pas tenu toutes ses promesses. Les raisons sont nombreuses, et je pense que les Européens n’ont pas toujours facilité les choses. Mais il faut savoir partager les responsabilités, c’est ce que la jeunesse africaine demande à ses propres leaders. Prendre son destin en main, voilà ce que les jeunes prétendent. C’est une aspiration légitime, qui est présente dans n’importe quelle société. Pour ma part, je pense que le leadership africain a une responsabilité historique : donner une place à l’Afrique dans le monde avec dignité, non pas pour se passer totalement des investissements, mais pour échanger à tout niveau avec les autres continents dans un rapport de force plus équilibré.
Le groupe S&D organise chaque année l’Africa week au Parlement européen. Pourquoi avoir instauré cette semaine dédiée à l’Afrique et quel bilan faites-vous de l’édition passée?
Nous avons mené bien des campagnes – je pense à celle qui a poussé l’UE à adopter une nouvelle législation sur l’importation de minerais en provenance de zones de conflits ou bien à la campagne EDUCA suite à laquelle la Commission européenne a décidé de doubler les fonds humanitaires réservés au secteur de l’éducation dans les pays en conflits -, et nos députés font un travail quotidien formidable pour mettre en œuvre notre agenda politique sur l’Afrique. L’Africa Week, que nous avons lancé en 2016, est donc une occasion pour donner plus de visibilité et d’impulsion aux actions que nous menons et une opportunité pour mettre le continent africain au centre de l’attention du Parlement européen à travers des débats publics auxquels participent un grand nombre de personnalités africaines. L’Africa Week est aussi un laboratoire d’idées et un moment important d’échanges avec nos partenaires africains. L’édition 2017 était naturellement dédiée aux jeunes, qui ont soumis des recommandations que notre Groupe politique a partagées avec les plus hauts représentants de l’UE en vue du Sommet UA-UE.
Comment analysez-vous les accords de partenariat économique entre l’UE et l’Afrique ? Certains analystes pensent que ces accords sont en défaveur des pays africains. Partagez-vous ce point de vue ?
Depuis le lancement des négociations il y a plus d’une dizaine d’années, les APE ont toujours fait l’objet de critiques, notamment de la société civile qui reste convaincu que ces accords auront tendance à appauvrir les pays ACP. Le Groupe S&D a toujours voulu s’assurer que les APE soient un outil favorisant un partenariat paritaire, le développement durable et l’intégration régionale. Avant leur signature, nous voulons nous assurer que chaque APE respecte la cohérence des politiques de l’UE en matière de développement, en particulier les droits de l’homme, la bonne gouvernance, les droits des travailleurs ou l’inclusion de la société civile pour superviser l’accord, ne menace pas les industries naissantes, soutienne la diversification de l’économie locale et accompagne sa mise œuvre avec des mesures financières appropriées. Nous devons également éviter que des tarifs plus bas conduisent à une baisse des recettes fiscales dans les États africains. Certains APE comme celui signé avec la SADC ont suscité pas mal de remous parmi nos députés, notamment sur le rôle de la société civile. En Afrique de l’Ouest, les APE intérimaires signés avec le Ghana et la Cote d’Ivoire sont problématiques car ils ne favorisent pas l’intégration régionale. Bref, le chemin est encore long et sinueux.
Quelle est la position du groupe S&D par rapport à la situation politique actuelle en cours en RDC ?
La RDC est plus que jamais à croisée des chemins. Une chose est sure : le pays est dans une phase exceptionnelle de son histoire où les pouvoirs ont place sont allés au-delà de leur vie constitutionnelle, et ce en raison d’un chef d’État qui a usé et abusé de sa position pour s’accrocher au pouvoir en bafouant les lois congolaises. La patience de la Communauté internationale, et en premier lieu celle de l’UA, doit avoir ses limites. La CENI vient de publier un calendrier électoral que les autorités congolaises sont tenues d’appliquer à la lettre, en favorisant un processus électoral transparent et inclusif, dans le respect de l’esprit de l’Accord de Saint-Sylvestre. Les élections doivent avoir lieu le 28 décembre 2018, et en aucun cas Kabila ne pourra se présenter aux présidentielles. Notre Groupe continuera à suivre de très près la situation politique en RDC, dans l’espoir que la confiance entre les acteurs congolais soit rétablie. Cela passe par la libération de tous les prisonniers politiques, la fin des poursuites judiciaires injustifiées, la réouverture des médias fermés et le respect des libertés fondamentales. Malheureusement, certaines décisions, comme celle prise par le Premier ministre Tshibala de créer un duplicata de l’UDPS sont une entorse à l’accord de Saint-Sylvestre. Pour ne pas parler des crises humanitaires catastrophiques qui sévissent dans le Kivu et le Kasaï, au risque de déstabiliser le processus électoral. L’attaque infâme perpétrée contre les casques bleus de la Monusco au Kivu laisse à penser que la situation risque de se tendre dans les prochains mois, ce qui est à la fois très inquiétant et inacceptable.■
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