Ancien Secrétaire général de l’OUA devenue UA, et actuel Président de la Fondation «Pax Africana», Edem Kodjo se prononce sur divers sujets de l’actualité brûlante du continent noir.Notre Afrik : La RDC vit des moments d’incertitudes. Les marches catholiques ont fait l’objet de répression et plusieurs morts ont été enregistrés durant ces manifestations. Entre la CENCO et Kinshasa, le torchon brûle. Face à l’impasse, l’UA reste impuissante, la CEMAC dans l’embarras… Quelle lecture faites-vous de la situation socio-politique de la RDC à l’heure actuelle ?
Edem Kodjo : La lecture est simple. Je pense qu’en RDC, nous allons tout de même vers des élections; parce que tout ce qui a été agité ces derniers mois donnait l’impression qu’on n’irait pas aux élections en décembre 2018 comme convenu. J’ai toujours pensé le contraire. Je pense qu’on ira aux élections en 2018, à moins d’une situation extraordinaire qui nécessiterait un report de quelques mois (…) Les élections vont avoir lieu. La preuve, c’est qu’au jour d’aujourd’hui, tout un chacun se prépare à ces prochaines joutes. Les mêmes qui, il y a seulement un mois, faisaient des discours de désespérance, avec des manifestations que l’on connaît, forment leurs partis, investissent leurs candidats et se préparent à aller aux élections.
Entre 2015 et 2016, vous avez été désigné facilitateur de l’UA dans cette crise congolaise. La tâche n’a pas du tout été facile pour vous. Vous avez même fait l’objet d’une controverse de la part des acteurs congolais. Aujourd’hui, avec du recul, et au regard des rebondissements dans cette crise, vous arrive-t-il de remettre en cause votre facilitation, ou bien le temps vous a donné raison?
C’est moi qui dois vous retourner la question, normalement ! Vous êtes mieux placé pour savoir si sur ce dossier le facilitateur a connu un échec ou bien s’il a eu raison avant tout le monde. Une fois de plus, je suis navré de vous le dire : le facilitateur a eu raison avant tout le monde ! Mais je suis habitué à cela ; puisque tout au long de ma vie politique, je constate que sur bien de sujets difficiles, j’ai toujours eu raison avant tout le monde. Seulement, comme le disait Edgar Faure, «avoir raison trop tôt est un grand tort». Ce sont les échéances que nous avons fixées au terme du dialogue intercongolais le 18 octobre 2016 qui ont été reprises et consignées dans tout le travail qui a été fait par la suite (Accord du 31 décembre 2016), et qui a donné lieu à la fixation de la date des élections présidentielles du 23 décembre 2018.
Ce que j’ai fait à Kinshasa a débouché sur des élections en 2018. Et je ne comprendrai jamais pourquoi tout le monde s’est levé dans une sorte de levée de boucliers générale pour dire jamais, pas 2018, 2017 ou rien ! Je constate avec effroi que les «pays dits de la Communauté internationale» étaient de cet avis-là aussi. Que certains n’attendaient que le départ du facilitateur pour, soi-disant, organiser un autre dialogue. Et ce dialogue qui a été organisé n’a rien fait d’autre que de reprendre entre autres les conclusions du facilitateur, son travail à lui. Et surtout de le prendre à leur compte pour ensuite essayer de le personnaliser dans les résultats finaux. Du reste, j’ai reçu récemment, de passage à Lomé, un des éminents leaders de l’opposition congolaise qui m’a confié : «Ecoutes, cher ami, au fond, aujourd’hui à Kinshasa, tout le monde sait que c’est toi qui a eu raison» ! Je souhaite ardemment, personnellement que les élections aient lieu et que l’on sorte définitivement de cette crise.
Controversé, je ne l’ai jamais été, sinon que les traficotages propres à la classe politique congolaise, les reniements propres à cette classe, les allers-retours, les allers-venues contradictoires ont créé une situation déplorable. Ce qu’a proposé le facilitateur depuis le début était cohérent. Sa démarche l’était tout autant, et finalement on a dû, pour des raisons personnelles, retardé le pays inutilement.
Gardons le cap de cette perspective électorale en RDC. Au-delà des élections, en tant que diplomate chevronné, quelles autres pistes de sortie de crise préconiserez-vous ?
Il faut passer par les urnes ! Il n’y a pas 36 mille solutions. Il n’y a rien d’autre à préconiser, il faut passer par les urnes. Elles diront la vérité. Elles désigneront un vainqueur. Le président Kabila n’est pas manifestement candidat aux élections. On pouvait le deviner, on pouvait le savoir, mais on a délibérément pris le chemin inverse, en demandant «qu’il précise qu’il ne sera pas candidat». Maintenant qu’il ne l’est pas, tout le temps qui a été perdu pour demander sa précision a servi à quoi ? Il était clair pour moi qui ai été facilitateur, que le président Kabila allait appliquer les accords. Quand notre accord a été signé en octobre 2016, le président Kabila a mis plusieurs semaines à l’étudier minutieusement. Puis, un jour, il a convoqué tous les participants aux négociations qui ont enfanté ce consensus politique (…) Et je me rappelle que ce jour-là, il m’a dit, avant même que je ne prenne la parole : «Monsieur le facilitateur, cet accord est désormais à partir de ce jour le mien».
J’en ai retenu que cet homme-là préparait sa sortie d’une façon ou d’une autre, puisqu’il acceptait cet accord. Et c’est cet accord qu’une autre réunion, présidée par la CENCO qui elle a été avec nous, dès le début des comités préparatoires du dialogue intercongolais, a repris. Je travaillais main dans la main avec la CENCO. Je ne prenais aucune décision sans consulter ses responsables. Et puis, en plein milieu de la rivière, on vient me dire qu’on ne peut plus venir continuer parce qu’on veut négocier avec ceux qui étaient toujours réticents pour participer au dialogue. Le nonce apostolique était venu me solliciter à cet égard, et je leur ai répondu ceci : «Vous savez, vous avez toute latitude pour discuter avec les autres.
Je prie Dieu pour qu’il vous assiste à les ramener dans la salle, mais de grâce, vous avez suivi tout cet itinéraire avec moi depuis le début. Laissez une délégation dans la salle pour suivre les travaux». Personne n’a jamais compris pourquoi cette proposition raisonnable que je faisais n’a pas été acceptée. Mais, comme il s’agit de l’église, (je l’ai dit mille fois, l’église est ma maison), je me garderai de formuler à son encontre une quelconque critique. Mais vous pouvez deviner aisément les sentiments qui m’ont animé, sentiments qui peuvent aller de la déception à la désillusion.
Depuis mars dernier, Moïse Katumbi contraint à l’exil, s’est mis dans les starting-blocks en vue de la présidentielle de décembre 2018. Il a lancé à ce titre une plateforme dénommée «Ensemble pour le Changement». Peut-on y lire une alternative pour l’opposition visiblement fragilisée ?
Je n’ai rien à dire sur cela ! Je souhaite à M. Katumbi bonne chance. Et je souhaite également à l’ensemble de l’opposition congolaise bonne chance. Les urnes parleront et on verra bien celui qui gagnera. Je ne vais pas faire davantage de commentaires sur ce genre de question.
Parlons des élections dans un autre grand pays du continent qui a été au devant de la scène médiatique ces derniers mois : le Kenya. Une poignée de mains spectaculaire entre l’opposant Raila Odinga et l’actuel président Uhuru Kenyatta a eu lieu le 09 mars 2018. Peut-on subodorer à travers ce geste politique la fin de la longue crise électorale et le retour d’une véritable réconciliation dans ce pays ?
Leur poignée de main est une bonne chose ! Nous avions tous la main sur le cœur, nous tremblions à l’idée d’une glissade fatale qui aurait une fois de plus conduit le pays qui s’appelle le Kenya dans des troubles indescriptibles. C’est une heureuse conclusion. Il faut que les hommes politiques se disent définitivement qu’ils ne travaillent pas que pour eux-mêmes lorsqu’ils sont à la tête des pays ou à la tête de l’opposition. Ils travaillent pour le peuple. Il faut avoir, en toute circonstance, une vision de l’avenir du pays, de l’avenir des peuples africains, une vision qui soit positive. Je les félicite tous les deux. Je les connais personnellement tous les deux. Et j’espère que c’est le début d’un mouvement qui va permettre de stabiliser le paysage politique kenyan. Le Kenya a autre chose à faire. C’est une forte puissance en perspective sur le continent africain. On n’a pas le droit de négliger ce pays. On n’a pas le droit de compromettre son avenir. J’estime donc que le geste de Kenyatta et d’Odinga est une excellente chose, et je prie Dieu pour que cela dure.
Le Togo, votre pays, est le seul dans la sous-région ouest-africaine à ne pas connaître d’alternance politique depuis 50 ans. Depuis plus de 07 mois, l’opposition manifeste dans la rue pour réclamer «le retour à la Constitution originelle de 1992 et le départ de Faure Gnassingbé». La facilitation du Président ghanéen Nana Akufo-Addo est pour l’heure dans l’impasse. Quels commentaires faites-vous de la situation politique de votre pays et quelle serait selon vous la solution pour sortir de cette crise ?
Je laisse la solution idoine entre les mains de ceux qui négocient avec le facilitateur. C’est à eux de trouver une solution idoine. Vous parliez «de panne de la médiation du facilitateur», ce n’est pas exact puisque depuis le 23 mars 2018, le Président Akufo-Addo qui, ne l’oublions pas a aussi le destin de son pays entre ses mains, a repris les négociations avec les participants au 27è dialogue intertogolais. Il faut espérer que finalement une solution soit trouvée, solution qui permette au pays de retrouver une stabilité qu’il a perdue. Il y a eu des moments d’accalmie. On croyait que les affaires étaient rentrées dans l’ordre et puis, il y a eu des soubresauts, toujours à propos des élections, du contentieux électoral ! Je pense que cela suffit comme cela et que désormais, il faut prendre le problème à bras le corps et le résoudre. Je n’ai pas de solution miracle à proposer. Si j’en ai, parce que je réfléchis beaucoup à cette question, je la donnerai au président Akufo-Addo, le médiateur, qui pourrait voir ce qu’il peut en faire.
Les attaques terroristes se multiplient sur le continent africain et constituent une menace pour la sécurité et la stabilité de ses Etats. La dernière grande attaque du genre en date est celle de Ouagadougou. Faut-il une solution africaine, panafricaine contre ce mal ?
Je crois que la solution est en cours. Ce mal, de toute façon, doit être absolument éradiqué, il n’y a pas d’autres solutions. Il n’y a pas d’autres mots non plus, parce qu’en s’attaquant à des innocents, souvent des civils, parfois des militaires, en les assassinant, je crois qu’on ne sert aucune cause noble. Aucune cause noble ne peut aller de pair avec des exercices de cette nature qui sont une espèce de négation totale de la personne humaine. Il faut éradiquer ce mal à tout prix, et ce sera l’un des principaux objectifs de l’Union africaine dans les mois et les années qui viennent. Mais déjà, il y a le «G5 Sahel», il y a aussi des initiatives de toutes parts qui montrent que la volonté de l’éradication existe. Il faut se donner maintenant et réellement les moyens pour faire en sorte que cette volonté aboutisse.
Parlons justement du fonctionnement de l’Union africaine, particulièrement de sa présidence tournante qui a échu à Paul Kagame depuis le début de l’année. Le Rwanda est généralement présenté comme un modèle économique, mais en retard sur le plan démocratique. Comment doit-on apprécier le choix porté sur le président Kagamé ?
J’ai été au Rwanda. Et j’ai vu le pays qui s’appelle le Rwanda aujourd’hui. C’est quelque chose de remarquable que Paul Kagame fait là-bas. Avant de s’agiter dans toutes les directions et de vouer aux gémonies les dirigeants de ce pays, je voudrais qu’on prenne la peine de mesurer le parcours qu’a été celui du Rwanda, depuis les évènements du génocide de 1994 jusqu’à ce jour.
Je ne sais pas si les critiques qui viennent de l’extérieur, sur l’aspect démocratique du régime du président Kagamé sont valables ou pas. Toujours est-il que je suis convaincu que ces dirigeants rwandais travaillent pour le peuple rwandais, obtiennent des résultats pour le peuple rwandais et confortent largement le peuple rwandais. A mes yeux, c’est l’essentiel. Parce que pour que l’Afrique devienne un jour une puissance dans le monde, un continent dont la voix compte dans le concert des nations, il faut que nous soyons des Etats à peu près convenablement structurés. Il faut que de proche en proche l’Afrique se renforce au plan régional et que de proche en proche au plan continental, on fasse faire des progrès à ce continent.
C’est pour cela que l’actualité brûlante que constitue la mise en place de la Zone de libre échange (ZLEC) est déjà un grand pas en avant. Je ne vais pas verser dans le pessimisme pour ce qui concerne sa viabilité. Le panafricaniste confirmé que je suis ne peut faire autre chose que soutenir fortement cette initiative qui arrive enfin après une longue période de gestation. Que le Nigeria ne soit pas prêt aujourd’hui à y prendre part ne m’inquiète pas outre mesure. Je connais les dirigeants nigérians. Je connais leur disponibilité, leur dévotion pour la cause africaine. Le moment viendra où ils se joindront très rapidement à ce processus.
Celui qui a été mis à la tête de l’Union africaine, le président Kagame, est selon moi quelqu’un de très bien indiqué pour faire ce travail de rénovation de notre institution ; d’éviter la honte qui consiste de manière permanente à tendre la main pour réaliser des objectifs de l’Union africaine, ce qui est par ailleurs totalement contradictoire.
Il faut que les Africains comprennent qu’ils doivent se prendre en main. Vous ne pouvez pas envoyer un émissaire aller négocier, aller travailler dans un pays du continent et faire financer son déplacement et sa mission par l’Union européenne ! Ce sont des choses qui ne sont pas acceptables. J’aime encore mille fois que ce soient ces pays eux-mêmes qui mettent des fonds à la disposition de l’Union africaine et que cette dernière finance ces missions-là, parce que petite honte vaut mieux que grande honte.
Je suis tout à fait pour les objectifs que poursuit le président Kagame, c’est-à-dire la mise en application du prélèvement sur le commerce extérieur que nous devons mettre en place pour renforcer le budget et sur les réformes subséquentes qu’un Comité d’experts auquel je me suis joint à une certaine période ont élaboré et qui permettront à notre organisation (UA) de se sentir mieux, et d’aller de l’avant.
Lorsque vous passez en revue toutes les crises qui continuent de secouer le continent noir, regardez-vous l’avenir de l’Afrique avec le même optimisme ?
Je suis un forcené de l’optimisme quand il s’agit du continent africain ! Je déplore le caractère très sévère que peuvent prendre certaines des crises qui parsèment en quelque sorte aujourd’hui le continent africain. Le continent africain, c’est 55 pays qui n’ont pas encore, toujours, des intérêts convergents. Malheureusement pour nous, parce qu’à force de rechercher les intérêts de petits Etats tapageurs qui parsèment le continent, on oublie la grande Afrique, on oublie le grand peuple, on oublie la géopolitique mondiale qui doit être pour nous, en tout temps et en tout lieu, un objectif majeur.
«Quelle place pour nous dans la géopolitique mondiale»? Si on se posait cette question, si on savait que les Africains ne peuvent arriver à se positionner convenablement qu’en étant unis, je crois qu’on passerait fatalement sur un certain nombre de crises que l’on met en exergue. Constamment, je suis ennuyé par le fait qu’on ne nous parle que de crises en Afrique, et jamais de succès que l’Afrique peut obtenir. Il y a des pays qui sont de véritables succès, on n’en parle jamais ; on parle de ceux qui sont en difficulté.
Quand j’ouvre ma radio le matin, c’est la RDC. Il y a au moins trois chapitres sur la RDC avant de passer à autre chose. Bien que ce soit un pays très important sur le continent, la RDC n’est pas seule en Afrique. Cependant, je ne panique pas. Je considère que nous aurons encore d’autres problèmes et difficultés ; mais nous en triompherons, peu à peu, nous bâtirons quelque chose qui contribue à rehausser le prestige de l’Homme africain.
Quand j’écoute certaines émissions, je suis sidéré par le nombre de petits progrès techniques que réalisent les Africains, notamment dans le domaine de l’informatique, en matière d’innovations technologiques. Les Africains sont de vrais découvreurs. C’est pour moi un motif d’espoir, d’optimisme, qu’un mouvement est en train d’être lancé et que l’Afrique ne restera pas toujours l’éternelle consommatrice de ce qu’elle ne produit pas, et l’éternelle productrice de ce qu’elle ne consomme pas. Il faut arriver à renverser l’ordre des choses, consommer ce que l’on produit, et produire ce que nous consommons.
La CEDEAO a mis le cap sur 2020 pour lancer sa monnaie unique. Doit-on voir dans cette monnaie le salut du développement des pays de cet ensemble régional ?
Ce que la CEDEAO a décidé est tout à fait bon. Elle est d’ailleurs l’une des communautés régionales qui enregistre le succès le plus patent dans son fonctionnement. Elle a fait quelques bonds en avant qui sont salutaires. Mais rien n’est jamais terminé. La CEDEAO a encore beaucoup d’efforts à faire. Ce n’est pas parce qu’on parle de libre échange, de libre circulation des personnes et des biens, que les habitants de cette sous-région circulent si librement que ça ! Moi qui vis dans une capitale assise sur une frontière (Lomé), je sais de quoi je parle.
Interview réalisée par Pierre-Claver KUVO
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