Juil 23, 2015 BLOG, La chronique 1
Au choix : une boîte noire ou huit balles dans le dos. C’est cynique ? Pourtant la question est légitime, surtout si elle paraît choquante. Oui, oui, légitime sinon comment expliquer l’émotion à géométrie variable.
Revenons sur un fait que j’ai précédemment évoqué dans cette chronique. Le 11 janvier 2015, quatre millions de Français sont sortis dans les rues de France, pour la « plus grande manifestation jamais recensée » avait-on dit. Impressionnante mobilisation des citoyens pour refuser la terreur, suite aux attentats de Paris contre Charlie Hebdo et un Hyper casher qui avaient fait seize morts au total. Rappelez-vous : la planète entière était à l’heure de Paris. Et les dirigeants africains étaient là, oui, mobilisés contre la terreur des islamistes ! C’est quelque chose !
Ils étaient nombreux à Paris et je vous livre leurs noms : Thomas Boni Yayi du Bénin, Denis Sassou Nguesso du Congo, Ali Bongo Ondimba du Gabon, Ibrahim Boubacar Keïta du Mali, Mahamadou Issoufou du Niger, Macky Sall du Sénégal, Faure Gnassingbé du Togo, Kalzeubé Payimi Deubet, Premier ministre du Tchad, Mehdi Jomaa, chef du gouvernement de Tunisie, Sameh Choukry, ministre des Affaires étrangères d’Egypte, Ramtane Lamamra, ministre des Affaires étrangères d’Algérie. Sept chefs d’Etat, deux chefs de gouvernement et deux ministres des Affaires étrangères. C’est beau, réconfortant, mieux : merveilleux ! La suite l’est moins.
Jeudi 2 avril 2015, un commando de quatre hommes fait irruption sur le campus de l’université de Garissa, à l’Est du Kenya et, froidement, avec détermination, exécute 148 personnes dont 142 étudiants. Ne parlons pas du monde, évoquons la France et les pays d’Afrique. Une manifestation a réuni près de trois cents personnes à Paris. A Dakar, des étudiants de l’université Cheickh Anta Diop ont manifesté leur solidarité. A Casablanca, quelques personnes se sont recueillies devant le consulat du Kenya. Et c’est tout !
Et les médias ? J’ai attendu en vain que les chaînes de télé françaises en fassent leur « une ». Et la presse écrite ? Le lendemain, Le Figaro, quotidien français, annonçait que « la deuxième boîte noire a été retrouvée. » Oui, celle de l’avion de la Germanwings qui s’est écrasé dans les Alpes, précipité par le copilote, le sinistre et néanmoins criminel Andreas Lubitz, faisant cent quarante neuf morts.
Et pourquoi titrer sur la boîte noire et non sur les hommes Noirs assassinés de sang froid par des terroristes islamistes ? A bord du vol Barcelone-Düsseldorf, il y avait des citoyens européens, allemands, espagnols, etc. A Garissa, il y avait cent quarante-huit Noirs. Que vaut une peau noire ? Rien. Aucune manifestation, aucun dossier dans les chaînes de télé ni les journaux français. Alors que vaut une peau noire ? Même pas une boîte noire ! D’autant qu’il s’agit d’Africains ! On peut être « Charlie », et c’est bien, mais il semble être au-dessus des forces des Européens d’être Garissa. Si ce n’est pas une question de peau…
J’attendais aussi la réaction des dirigeants africains, eux qui étaient si nombreux à s’exhiber à Paris. Aucune initiative. Aucun d’entre eux n’a appelé Uhuru Kenyatta pour lui proposer de se retrouver à Naïrobi afin de témoigner leur solidarité. Rien, nada, walou, le néant. Le président Kenyan lui-même ne s’est pas encore déplacé à Garissa ! Il a décrété un deuil de trois jours ! Oui, franchement, c’est bien, il est compatissant ce Kenyatta. Il ne se déplace pas car son temps est précieux. Et puis, qu’a-t-il à faire à Garissa ? Qu’a-t-il à dire aux familles éprouvées ? Lui qui affirmait deux jours auparavant : « Le Kenya est aussi sûr que n’importe quel pays. »
Une boîte noire ou huit balles dans le dos. C’est le tarif appliqué aux Etats-Unis d’Amérique. En Caroline du Sud, un policier tire froidement dans le dos d’un Noir qui s’enfuyait. Huit fois, ça claque ! Huit fois. Dans le dos. Il ne fait pas bon être Noir. Le choix est simple : mourir, tiré comme un lapin — c’est le tarif américain —; ou sous les balles des islamistes dans l’indifférence des Européens, capables de s’indigner pour Charlie, justement, et pour l’avion de la Germanwings. Pas pour 148 Kényans. De l’humanisme ? Oui, à géométrie variable.
Par Yahia Belaskri.
© Notre Afrik n°55, Mai 2015.
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