« Je n’ai pas l’habitude d’être bref », avertit Faustin Twagiramungu avant d’entamer notre entretien dans un hôtel du centre de Bruxelles. Premier ministre rwandais de juillet 1994 à août 1995, il a passé les 19 dernières années en exil en Belgique. De la mise en place d’une coalition d’opposition au procès de Pascal Simbikangwa, jugé en France pour des faits en relation avec le génocide et condamné à 25 ans de réclusion en mars dernier, en passant par la mort de l’ancien chef des renseignements extérieurs, Patrick Karegeya, retrouvé assassiné le 1er janvier 2014 dans un hôtel en Afrique du Sud, l’opposant passe en revue l’actualité rwandaise.
Propos recueillis par DAMIEN ROULETTE
Notre Afrik : Vous venez de lancer une coalition d’opposition à Bruxelles. Pourquoi maintenant et pourquoi à Bruxelles ?
Faustin Twagiramungu : Je suis politicien, je mesure le temps et prends les décisions conformément aux circonstances. Nous venons de passer 20 ans ici (en Belgique, Ndlr) et au cours de ces 20 années, les Rwandais ont tout essayé pour mettre en place des partis politiques. Dix partis ont été invités, y compris le RNC (Congrès national du Rwanda, Ndlr), dirigé par des personnes qui ont de l’expérience, comme Faustin Nyamwasa, ancien chef d’état-major de l’Armée patriotique rwandaise, Théogène Rudasingwa, ancien chef de cabinet du président Kagamé, Gérald Gahima, ancien procureur général du Rwanda, et évidemment le regretté colonel Patrick Karegeya, ex-chef des services de renseignements extérieurs. Six des dix partis invités ont répondu à l’appel ; parmi eux figure le parti FDLR (Forces démocratiques de libération du Rwanda, Ndlr), le PS Imberakuri, parti présent au Rwanda mais qui n’a pas été enregistré. Il y avait également le Rwandan Dream Initiative, le FDU (Forces démocratiques unifiées, Ndlr), de Victoire Ingabire, condamnée à 15 ans de prison, et enfin le Pacte de défense du peuple, de Déo Mushayidi, condamné à perpétuité.
L’attente était forte pour que les gens se mettent ensemble. Je crois que l’initiative qui a été prise a été applaudie par la majorité des Rwandais tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays.
Kigali exclut toute négociation avec les FDLR. Pourquoi donc les inclure dans votre coalition ?
C’est un parti de Rwandais qui vient de passer 20 ans dans des forêts congolaises. Martin Kobler, le responsable de la Monusco (Mission des Nations unies pour la stabilisation de la République démocratique du Congo, Ndlr) estime que 75% de ces réfugiés au Congo, qui sont sous le parapluie des FDLR, sont des jeunes nés dans ces forêts ou qui ont grandi là-bas. Aussi, ne peut-on pas tomber dans le piège de la propagande du FPR (Front patriotique rwandais, au pouvoir, Ndlr) et du président Paul Kagamé, en particulier, en qualifiant toutes ces personnes de génocidaires. Il s’agit naturellement de Hutus, car le manichéisme du président Kagamé est connu : il divise malicieusement. Il y avait également une volonté de ces personnes, qui sont au Congo depuis 20 ans, de négocier ou plutôt de dialoguer avec le régime du Rwanda. Et je suis toujours partisan de ceux qui veulent dialoguer.
Ce dialogue est-il possible et à quelles conditions ?
En 2012, au plus fort des attaques et violences des rebelles du M23 (Mouvement du 23-Mars, Ndlr) dans l’est de la RDC, il y a eu des pressions internationales sur le gouvernement congolais pour lui demander s’il n’était pas possible de dialoguer avec ce mouvement. Ce n’était d’ailleurs pas du conditionnel, c’était une obligation. Le régime de Kabila n’a pu que répondre positivement. Nous disons donc que si le M23, qui est un mouvement qui viole les femmes, tue, arrive à prendre la ville de Goma, peut dialoguer, avec Kinshasa sous la pression internationale, alors les FDLR aussi doivent pouvoir entamer un dialogue avec Kigali.
Le 26 mai 2013, le président tanzanien a eu le courage de demander à son homologue rwandais d’être flexible et de négocier avec les FDLR. La réponse a été négative et le 30 juin 2013, Paul Kagamé a tout simplement déclaré qu’il n’y aurait pas d’espace politique, pas de droits de l’Homme respectés, pas de démocratie, pas de tolérance envers les « génocidaires ». C’est un discours violent en guise de réponse à un Président qui veut la paix dans la région.
La prochaine élection présidentielle a lieu dans trois ans. Serez-vous candidat ?
Je ne calcule pas ce qui se passera dans trois ans. Les circonstances aujourd’hui ne me favorisent absolument pas. Je dois observer ce que fait Kagamé avant de pouvoir me déclarer candidat. Je crains fort qu’il ne laisse personne d’autre prendre le pouvoir, de surcroît un civil, sans qu’il y ait des problèmes. Mais qui d’autre peut remplacer Kagamé et continuer son système, si ce ne sont les militaires ? Ou alors, comme le disent certains, un membre de sa famille ? L’absence de sincérité de la part de Paul Kagamé m’empêche pour l’instant de me déclarer candidat. Je l’ai fait en 2003, je sais ce que j’ai subi. Inutile donc de faire des calculs à trois ans de l’échéance. Je n’en exclus toutefois pas la possibilité, surtout si les conditions changent.
Vous avez à plusieurs reprises envisagé de revenir au Rwanda. Quand aura lieu ce retour ?
Les circonstances politiques au Rwanda ne sont pas favorables. Kagamé l’a dit : « Il n’y aura pas d’espace politique de mon vivant. » J’ai bien tenté d’aller au Rwanda l’année passée, mais le voyage n’a pu être possible pour des raisons qui sont propres au régime de Kigali. Ils n’ont pas voulu renouveler mon passeport rwandais et ont refusé le visa dans un passeport belge dont je suis titulaire. Donc, je reste ici et suis obligé de tout faire pour que l’on fasse pression sur ce régime afin qu’il accepte le droit de tous les citoyens de rentrer dans ce pays, y compris ceux qui sont considérés comme des « génocidaires ».
Il faudrait à ce propos interpeller la communauté internationale : est-ce qu’elle accepte que tous ces Rwandais qui sont au Congo soient qualifiés de « génocidaires » ? S’ils le sont, ils doivent être arrêtés. Sinon, ils doivent rentrer et bénéficier des avantages que monsieur Kagamé a accordés au général Paul Rwarakabije (ex-chef de la branche armée du FDLR, Ndlr).
En cas de retour, avez-vous peur de subir le même sort que Victoire Ingabire ?
Ce n’est pas une question qu’il faut se poser. A mon âge, je risque presque tout : la prison, être fusillé, être étranglé dans une chambre d’hôtel… Je n’ai pas peur, je suis disposé à mener toute bataille politique que je pourrais engager de mon vivant.
Diriez-vous aujourd’hui que le Rwanda est une prison à ciel ouvert ?
Bien entendu ! Je viens de passer 19 ans ici (en Belgique, ndlr), mais je n’avais pas prévu de rester aussi longtemps, que mes enfants vivraient ici, souvent dans des conditions difficiles. Pourquoi dois-je vivre ici ?
Vous avez évoqué l’affaire Karegeya, assassiné dans une chambre d’hôtel en Afrique du Sud. Que vous inspire cette affaire ?
Elle m’inspire que le régime a peur de ceux qui ont collaboré avec lui ou l’ont mis au pouvoir. Des gens comme Rusasingwa, Gahima Nyamwasa ou le regretté Karegeya ont tous aidé Kagamé à prendre le pouvoir. Ce sont des personnes qui ont fondé cette idéologie manichéenne qui divise les Rwandais. Aujourd’hui, le régime a peur que certains secrets puissent être révélés par ces mêmes personnes. Même l’Afrique du Sud s’en est rendu compte ! Comment voulez-vous que Faustin Kayumba Nyamwasa ait été, à trois reprises, la cible d’attentat ?
Concernant Karegeya, le président rwandais s’est vanté de son assassinat. Au point qu’au Forum économique mondial de Davos (22-25 janvier 2014, Ndlr), se rendant compte de son erreur, il a rétropédalé : « J’aurais souhaité le tuer, mais ce n’est pas moi. » Je crois qu’une intervention de la communauté internationale est nécessaire pour arrêter ces violences. Ce qui est étonnant, c’est que Paul Kagamé passe toujours pour un innocent.
Vingt ans après le génocide, il n’est donc toujours pas question de réconciliation au Rwanda…
Si j’avais accepté de quitter la Belgique — où j’étais réfugié depuis le mois de mai 1994 jusqu’au 10 juillet de la même année — pour le Rwanda, c’était pour participer au gouvernement dit d’union nationale. J’avais cru que ces forces seraient concentrées sur la réconciliation nationale. Depuis le 19 juillet 1994 jusqu’à ce jour, cette réconciliation n’a pas eu lieu. Il y a eu un développement matériel que les gens considèrent comme un exploit de la part de Kagamé, qui a préféré abandonné le projet le plus important pour le peuple rwandais : la réconciliation.
Comment jugez-vous l’action économique du président Kagamé ces dernières années ?
Sur le plan économique, je ne peux pas l’évaluer. Il a des amis, comme Clinton ou Blair (respectivement ancien président américain et ancien Premier ministre britannique, Ndlr), qui jugent son bilan bon. Des hôtels sont sortis de terre, les routes sont nettoyées, l’hygiène est entretenue… Donc pour eux, c’est la stabilité et le développement économique. Mais pour nous, le développement des citoyens commence par les milieux ruraux puisque chez nous, la ville est une sorte de refuge pour les gens riches. Il n’y a pas de centres de santé dans les milieux ruraux, pas d’eau potable, les gens meurent encore de la malaria, de faim. Alors quand les Occidentaux disent qu’il a tout développé parce qu’il crée des conditions semblables à celles qu’on trouve en Occident…
Les diplomates occidentaux le qualifient pourtant de visionnaire ?
Rapportez à ces diplomates que Faustin Twagiramungu a dit qu’ils sont des menteurs. Personne ne peut m’apprendre le développement de mon pays. Je ne vois pas pourquoi quelqu’un qui viendrait de Bruxelles ou de Washington irait évaluer mon pays plus que moi. J’ai connu, très jeune, le président Kayibanda, puis le président Habyarimana. On a toujours dit en Belgique de ces deux-là qu’ils étaient les meilleurs, comparés à d’autres Africains parce qu’ils développaient leur pays. Quelle est la différence aujourd’hui ?
Quand le Rwanda a accédé à l’indépendance, Kigali comptait 2 840 habitants, c’était un village. Aujourd’hui, sa population est de presqu’un million d’habitants. Et c’est monsieur Kagamé qui a développé tout ça ? Il a commencé où ? Le développement existait avant, il l’a peut-être amélioré. Prenons simplement l’infrastructure routière : qu’a ajouté Kagamé ? Et puis, il faut prendre en compte le « facteur vol ». Le pillage du Congo a permis à Paul Kagamé d’être considéré comme un « visionnaire ». L’impunité dont il jouit est scandaleuse. Ceux qui le glorifient ont une mentalité plutôt coloniale. Ils veulent le maintenir au pouvoir afin que le mal perdure dans cette région.
Selon vous, c’est donc de la poudre aux yeux…
On ne peut pas me convaincre que Kagamé est un homme bien quand on ne peut retourner chez nous, jouir des droits de l’Homme ; quand on n’a pas accès à la liberté d’expression. Qu’il nous dise d’abord qui a assassiné les deux Présidents ! Qu’il nous dise comment 8 000 personnes ont été assassinées à Kibeho le 21 avril 1995. Ou encore comment des centaines de milliers de personnes ont été massacrées dans des forêts congolaises en 1996 et 1998.
Les experts de l’ONU ont accusé à plusieurs reprises Kigali de soutenir le M23. Ces accusations sont-elles justifiées ?
Si elles ne l’étaient pas, ils ne l’auraient pas dit, et les rapports le révèlent. Kagamé a toujours menti, de 1995 à aujourd’hui. Il oublie que désormais il existe des drones qui voient tout et que les services de renseignement de la Monusco sont spécialisés dans ce qui peut bouger dans cette région. Kagamé a soutenu le M23, car dans son idée il s’agit de récupérer ce qu’il appelle le « territoire perdu du Rwanda ». Avant cela, il avait soutenu le CNDP (Congrès national pour la défense du peuple, une ex-rébellion congolaise, Ndlr)…
Cela vous paraît donc logique que plusieurs pays ont alors suspendu leur aide au Rwanda ?
On ne peut que soutenir cette démarche.
A quand remonte votre dernier contact direct avec Paul Kagamé ?
Très longtemps ! Précisément, cela doit dater du 11 septembre 1995.
Le 14 mars, Pascal Simbikangwa a été condamné à 25 ans de prison par les assises de Paris. Que vous inspire ce procès historique ?
En quoi est-ce donc historique ? Qu’a fait Simbikangwa que n’a pas fait Kagamé ? Qu’on arrête Kagamé, là ce sera historique. Vous pensez que Laurent Gbagbo et Charles Taylor (respectivement ex-président de Côte d’Ivoire et du Liberia, tous deux accusés par la CPI de crimes contre l’humanité, Ndlr) ont fait plus que Kagamé ? Les dirigeants du monde entier savent de quoi il est coupable. Et là, on prend un infirme, qui est dans un fauteuil roulant, on le lynche médiatiquement à des fins publicitaires : « Cela fait 20 ans, c’est historique ! »
Estimez-vous qu’il s’agit d’un procès instrumentalisé ?
Bien entendu ! Je suis moi-même allé au tribunal, on m’a dit que je n’ai parlé que de politique, pas de Simbikangwa. Qu’est-ce qu’ils voulaient que je dise ? J’ai quitté ma maison le 7 avril 1994 pour me cacher et le 19, j’ai pris l’avion pour Nairobi où je suis resté deux semaines avant de venir m’installer en Belgique. Que puis-je leur dire ? Pour Srebrenica, dans l’ex-Yougoslavie, on a parlé de génocide et les auteurs sont à la CPI, à La Haye. Qu’en est-il de Kibeho (Selon la communauté internationale et les organisations des droits de l’Homme, en avril 1995, les soldats de l’Armée patriotique rwandaise, branche armée du FPR, auraient fait dans cette localité, en une après-midi, autant de victimes qu’à Srebrenica, considéré comme le plus grand massacre en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale, Ndlr) ? Où sont les auteurs de ces massacres ?
Avez-vous pris contact avec les chancelleries occidentales pour tenter à nouveau un retour au Rwanda ?
Les Occidentaux ne vont pas forcer Kagamé à m’accepter. S’ils veulent forcer le maître de Kigali à accepter mon retour, alors il faut aussi le faire pour tous les réfugiés rwandais. Je n’ai pas à négocier mon retour au Rwanda avec qui que ce soit. C’est mon pays. Paul Kagamé n’avait pas négocié son retour au pays, il est revenu par les armes. Pensez-vous que les autres ne peuvent pas faire de même ?
C’est une solution que vous envisagez ?
Pourquoi pas ? Pensez-vous que j’ai peur de le dire ? Il aurait pu négocier avec Habyarimana (le président rwandais dont la mort dans un crash d’avion a déclenché le génocide, Ndlr), il ne l’a pas fait. Aujourd’hui, nous voulons négocier, il ne veut pas.
Par Damien Roulette.
© Notre Afrik N°43, Avril 2014.
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