Né au Congo, écrivain et professeur de littérature francophone à la columbia university de Paris, Boniface Mongo-Mboussa est l’auteur de Désir d’afrique (Gallimard, 2002), et de L’indocilité, supplément au Désir d’afrique (Gallimard, 2005). Si ses livres participent à la compréhension des littératures africaines, son action éditoriale au cœur de la collection Continents Noirs permet de dépoussiérer les œuvres des auteurs majeurs comme Mongo Béti et maintenant Tchicaya u Tam’si. Rencontre.
Notre Afrik : Vous avez entrepris de publier, chez Gallimard, l’ensemble de l’œuvre de Tchicaya u Tam’si, en trois tomes : poésie, romans et nouvelles, puis théâtre. Pourquoi commencer par la poésie ?
Boniface Mongo-Mboussa : Tchicaya U Tam’si a deux lectorats. Il y a ceux qui aiment ses romans et ceux qui ne jurent que par sa poé- sie. En tant que poète, il est recon- nu par ses pairs ; à commencer par Aimé Césaire, Léopold Sédar Senghor, Édouard Maunick, Jean-Baptiste Tati Loutard et Sony Labou Tansi. Le romancier, lui, est célébré par le lecteur lambda. Et Tchicaya a connu des joies d’auteur avec le roman. Ces fruits si doux de l’arbre à pain a été sélectionné pour le Goncourt 1988. Toutefois, il reste essentiellement poète.
Du reste, la poésie est tellement marginalisée dans le monde contemporain qu’il faut sai- sir chaque opportunité pour la mettre en exergue, parce que la poésie, comme le dit si bien Octa- vio Paz, c’est la troisième connaissance : « la connaissance poétique est la seule chose qui nous reste devant l’annihilation progressive de la vision religieuse, face à la dispersion de la connaissance scientifique ».
Et pourtant, cette poésie dont l’intégralité est publiée sous le titre « J’étais nu pour le premier baiser de ma mère » a très vite été cataloguée « difficile ». Qu’est-ce qui peut justifier cette appréciation devenue une légende quasi- ment inamovible ?
C’est une véritable légende. Tchicaya U Tam’si ne dit qu’une chose : son mal-être. Un mal- être qui prend en charge celui de l’Autre et de sa terre natale. Voilà ! Ce n’est pas sorcier. Il parle du fleuve, du corps souffrant, de l’amour, de la passion. Il pratique l’autodérision. Il tend la main, il pleure, il rit, il hurle parfois. Tchicaya, comme le disait si bien Sony Labou Tansi (qui comparait son importance en Afrique à celle de Neruda pour l’Amérique latine) est le père de Notre rêve. Le rêve d’un Congo à cheval sur le Congo, le fleuve.
Cet ostracisme n’est-il pas dû au fait que Tchicaya U Tam’si ait pris très tôt ses distances avec le mouvement de la négritude incarné par Césaire, Senghor et Damas ?
On lui a fait payer cher son inso- lence à l’égard des pères de la négritude. Pas tellement Sen- ghor lui-même, qui le tolérait. Puisqu’il disait que la jeunesse devait entrer dans la vie l’injure à la bouche. Ce sont les courtisans de Senghor et les négrologues qui lui ont fait payer ce crime de lèse-majesté. D’autre part, en France, il y a une sorte de loi non écrite. On célèbre difficilement deux métèques simultanément. Il y avait déjà Senghor, Tchicaya devait attendre. Regardez ce qui est arrivé à Édouard Glissant ! Il a longtemps vécu dans l’ombre de Césaire ; s’il était mort jeune comme Tchicaya n’aurait pas connu, de son vivant, la consécration qui a été la sienne au cours de ces vingt dernières années.
Le poète semble avoir souffert du manque de reconnaissance des lecteurs, alors qu’il avait celle de ses pairs. Comment et pourquoi ?
Tchicaya fait partie de ces poètes pour les poètes, comme il y a des peintres pour les peintres. Et généralement, ces auteurs sont vénérés par leurs pairs parce qu’ils innovent. Regardez la vénération des artistes pour Cézanne, Mannet et Morandini qui n’étaient pas des peintres grand public: ils le seront plus tard.
Qu’est-ce qui fait la modernité de sa poésie ?
La modernité est fille de la critique. La poésie de Tchicaya est critique. Il suffit d’observer la place qu’il réserve à l’ironie, à la parodie, à l’autodérision, à l’humour. La modernité de Tchicaya est perceptible dans l’usage qu’il fait du collage, dans cette manière de juxtaposer le prosaïque et le sublime. Cette juxtaposition est présente même dans sa syntaxe. Il suffit de lire Le ventre pour s’en apercevoir.
Tout ceci produit une certaine dissonance, qui souvent agresse, désarçonne le lec- teur, mais ne laisse pas indifférent. Pierre Gaucheron écrivait ceci à propos de sa poésie : « On dirait que cela n’a ni queue ni tête, la logique est désarçonnée, et pourtant c’est une véritable médication que poursuit Tchicaya. » On ne peut que souscrire à ce qu’écrit Gaucheron. C’est une poésie moderne.
Comment lire cette poésie aujourd’hui ?
Il faut se laisser emporter par cette complainte, par cette musique douce-amère. Oublier les diktats d’une critique stérile, qui l’estime hermétique. Tchicaya n’est pas plus hermétique que Césaire. La poésie de Tchicaya est, aussi pa- radoxal que cela puisse paraître, une poésie très orale. C’est un hymne à la fraternité. Il faut la lire à haute voix, seul dans sa chambre, vous verrez…
L’oeuvre de Tchicaya U Tam’si magnifie également la poésie à travers le théâtre et le roman. Peut-on lire le reste de son oeuvre à la lumière de sa poésie?
Quoi qu’il écrive, il est irrémédiablement poète. Certains de ses romans ne tiennent que par la force de la langue. Regardez Les Phalènes. Sa pièce, Le bal de Ndinga, à l’origine, est une nouvelle, mais une nouvelle théâtralisée. Tchicaya a cultivé trois genres. La poésie, le roman et le théâtre, mais sa poésie est une poésie de scéno- graphe. Son théâtre est lyrique et ses récits, des romans-poèmes.
Propos recueillis par Caya Makhélé © Notre Afrik n°41, Février 2014.
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