Docteur ès sciences économiques de l’université Paris X Nanterre et plusieurs fois ministre — Commerce, Planification, Transport et Communication — de son pays sous la Révolution (1984-1987), le Burkinabè Alain Roger Coéfé, auteur de La mondialisation, trente ans après, ouvrage paru début 2013, jette un regard pédagogique et prospectif sur les bienfaits et les inconvénients de la mondialisation. Non sans souligner le rôle des politiques et de l’intelligentsia dans le développement économique du continent.
Notre Afrik: Dans l’ouvrage que vous avez publié récemment, vous constatez que « l’Afrique est restée en marge de la mondialisation, trente ans après ». A quoi cela est-il dû?
Alain Roger Coéfé: A mon avis, cela est essentiellement imputable à la question de la gouvernance et aux choix stratégiques que nous n’avons pas su opérer. A l’instar des pays asiatiques, nous aurions pu non seulement mettre en place une approche régionale de la question du développement, mais également faire face à un certain nombre de préalables comme : une bonne gouvernance, une vision réaliste du processus de développement, procéder à une révolution agricole, à une industrialisation endogène ainsi qu’à la création de vastes marchés régionaux dans les secteurs du commerce, des transports, des communications, de l’énergie, des services, des travaux publics… Bref, créer des champions régionaux dans tous les domaines.
Vous suggérez notamment une fusion de l’Union économique et monétaire ouest-africaine au sein de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest. Ne serait-ce pas là une décision politiquement incorrecte à prendre par les autorités ?
C’est une décision correcte politiquement ou politiquement correcte à prendre pour la simple raison qu’aucune des deux Communautés économiques régionales (CER) n’a vraiment réussi à poser de façon efficiente la problématique du développement régional. La multiplication des CER — nous en avons au moins sept dans notre sous-région ouest-africaine — constitue une dispersion d’énergie et de ressources financières.
De même, nous devons travailler à gommer les legs de la colonisation plus de cinquante ans après les indépendances, en supprimant par exemple les différences entre les anglophones, les francophones et les lusophones dans notre sous-région. Si nous voulons créer un vaste marché sous-régional, nous ne pouvons pas avoir plusieurs organisations de développement sous-régional, mais une seule. C’est pourquoi je pense que l’Union économique et monétaire ouest-africaine devrait s’intégrer dans la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest, et même en être l’aiguillon qui favorisera l’intégration économique et le développement de notre sous-région.
Vous fustigez également, dans votre ouvrage, l’ancienne division internationale du travail qui continue de placer l’Afrique dans une sorte de « récréation », et que vous distinguez d’avec la nouvelle division du travail…
En effet, l’ancienne division du travail est celle qui a été créée depuis la révolution industrielle et qui fait de nos pays essentiellement des pourvoyeurs de matières premières et des produits primaires dans l’ensemble du commerce mondial. L’Afrique est un continent extrêmement riche mais sa population est pauvre, justement parce qu’elle n’a toujours pas réussi à mettre en place les mécanismes qui lui permettent de transformer ses matières premières en produits finis.
Depuis lors, nous n’avons pu changer cette situation, alors que de nombreux pays en Asie, qui étaient au même stade de développement que nous depuis la révolution industrielle, qui ont également été colonisés ou semi-colonisés, ont réussi ces trente dernières années à inverser le processus pour devenir progressivement des fabricants de produits finis. Ils ont commencé par fabriquer des postes radio en important les transistors ; puis ils se sont mis à fabriquer les transistors, à les miniaturiser, etc., et finalement, aujourd’hui, ce sont eux qui impriment, par la recherche scientifique et technologique, le processus de développement de ces différents secteurs. C’est ce à quoi nous devons arriver et c’est ce que j’appellerais la nouvelle division internationale du travail et l’émergence.
Que doivent donc faire nos dirigeants aujourd’hui pour amener, comme vous le suggérez, «l’économie africaine à participer pleinement à la mondialisation en acteur conscient et majeur»?
Il y a des questions que l’on peut résoudre dans le cadre national et qui du reste ne sont pas très nombreuses. Cependant, il y a des questions que l’on peut résoudre au plan régional parce qu’ensemble on est beaucoup plus fort. Et aussi parce que l’économie mondiale est configurée en grands blocs : l’UE en Europe, l’Alena en Amérique du Nord, l’Asean en Asie du Sud, le Mercosur en Amérique latine… Quelle que soit la quantité de matières premières, c’est-à-dire des richesses naturelles dont dispose un pays, il ne peut seul faire face à la mondialisation.
Prenons l’exemple de la révolution agricole. Il faut nourrir l’Afrique, et les Africains peuvent nourrir l’Afrique. Il y a suffisamment de terres arables pour développer l’agriculture. Un pays qui ne peut pas nourrir sa population ne peut pas prétendre émerger parce que c’est une question fondamentale. Quand la population a faim et ne peut pas se nourrir correctement, elle ne peut pas non plus résoudre les autres questions importantes dans le processus de développement.
Pour autant, la mondialisation n’est pas une panacée qui ouvre la porte à toutes les opportunités. Vous admettez vous-même qu’elle creuse les inégalités entre le Nord et le Sud…
C’est clair ! Et même à l’intérieur de chaque nation, la mondialisation creuse les inégalités entre les riches et les pauvres, paupérise une partie de la population. Si vous prenez le cas de l’Europe, avec les délocalisations, il y a des industries qui ne pourront plus fonctionner, du fait de l’obsolescence des technologies, mais aussi du haut niveau des salaires…
Comme dans toute chose, il y a les aspects positifs de la mondialisation. Vous avez par exemple la possibilité de prendre l’avion, d’aller partout dans le monde, de consommer des biens de haute technologie, de bénéficier de soins de qualité… Ce sont autant de bienfaits de la mondialisation. Mais évidemment, au-delà des bienfaits, il y a les inconvénients de la mondialisation, notamment la paupérisation d’une grande partie de la planète. Sur les sept milliards que nous sommes sur terre, on compte seulement un milliard qui participe pleinement à la mondialisation, et parmi les six milliards qui restent, la moitié gagne plus d’un dollar par jour et l’autre moitié moins d’un dollar par jour.
Comment peut-on corriger ces inégalités à l’échelle du continent ?
Il faut qu’on se mette ensemble. Les pays africains doivent accepter de reconnaître qu’il y a des questions du développement qui ne peuvent plus être résolues dans le cadre national. Il en va ainsi par exemple de la question de l’énergie où il faut une coopération sous-régionale et même continentale. Idem pour la question de l’éducation et de l’harmonisation de son contenu, en rapport avec le niveau actuel des connaissances dans les sciences et les technologies.
Votre regard d’économiste averti s’est aussi fait prospectif sur le plan politique, puisque vous invitez à l’édification, dans chaque pays de l’Afrique de l’Ouest, d’un « Etat visionnaire, stratège, ambitieux, exemplaire, intègre, juste et légitime »… Vous y croyez vraiment?
On doit y arriver parce que c’est seulement ainsi que nous pourrons développer nos pays. L’Etat doit être visionnaire parce que le développement n’est pas un processus spontané. Un Etat légitime, c’est un Etat dans lequel il y a un processus de renouvellement de la classe politique et du pouvoir. Les Constitutions doivent être respectées et il faut qu’il y ait l’alternance, que les élections soient crédibles, que les citoyens soient conscients du fait que leurs votes sont très importants et qu’ils doivent s’exprimer à travers leurs bulletins de vote sur ce qu’ils souhaitent que l’on fasse de leur pays, de leur sous-région, du continent africain…
© Notre Afrik N°36, Septembre 2013
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